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Malgré l'heure tardive, Warren Worthington s'escrimait encore sur son texte. Il avait réécrit chaque phrase plusieurs fois, pinaillé sur chaque virgule et cherché les bons mots. Le tout se devait d'être rythmé et parfaitement ciselé pour produire l'effet escompté.

Il venait d'une famille riche et bien éduquée, où l'on apprenait très tôt la puissance de la parole bien maniée. C'est pourquoi, tout au long de ses études, il avait suivi un double cursus, économique et littéraire. La finance pour comprendre le monde, la parole pour le manipuler. Car le capitalisme libéral reposait entièrement sur de grandes croyances, quasi religieuses, induites et soutenues par de beaux discours. Maîtriser le verbe, c'était contrôler l'ensemble.

Son téléphone personnel sonna. Il soupira et réfléchit : allait-il répondre ? C'était probablement madame qui désirait savoir à quelle heure il rentrerait. Comme chaque soir, en somme. Quelle emmerdeuse ! Sans cesse à le pister, persuadée qu'il restait tard au bureau dans l'unique but de se taper sa plantureuse assistante, ce qui était d'une totale idiotie puisque – mais cela elle l'ignorait – il ne couchait avec Brittany qu'entre midi et deux, préférant garder ses soirées pour le travail. Il était ainsi : à l'aise dans la nuit, et plus productif que jamais durant ses insomnies.

Il était sur le point de décider que le coup de fil de ce soir pouvait bien se perdre, quand il constata à sa montre qu'il était encore tôt, à peine 21h30. D'habitude, Astrid téléphonait plus tard pour débiter son laïus machinal. Tu es encore au bureau ? Oui. Tu rentreras tard ? Oui. Tu as dîné ? Non. Carmen t'a laissé un plateau repas dans la cuisine. Ah ? Merci. À demain alors ? Oui.

Il prit la peine de jeter un œil à son smartphone pour constater que l'appel provenait d'un numéro masqué. Une erreur peut-être. Il décrocha.

— Allo ?

— Warren, c'est moi.

Il reconnut immédiatement la voix au bout du fil et cela l'inquiéta. Pour qu'il l'appelle directement sur sa ligne personnelle, cela signifiait qu'il se passait quelque chose de grave.

— Qu'y a-t-il ?

— C'est l'enquête sur la mort de Kosloff. L'inspecteur d'Astropol a réussi à récupérer des données confidentielles extrêmement compromettantes.

— Jusqu'à quel point ?

— Tout.

Warren Worthington perdait rarement son assurance, mais là, il devint blanc comme un linge.

— Vous voulez dire qu'il... qu'il sait ?

— Pas encore. Les données sont cryptées, il ignore de quoi il s'agit et que nous sommes impliqués. Mais dès demain les pages codées seront transmises à la Terre et il ne faudra pas longtemps pour que la vérité éclate au grand jour. Vous imaginez les répercussions...

— Il faut donc agir immédiatement.

— Oui. C'est la raison de mon appel.

— Très bien. Ne vous inquiétez pas, je vais faire ce qu'il faut.

— Vous voulez dire... le tuer ?

— Si ça s'avère nécessaire, alors oui.

— C'est que...

— Quoi ?

— Un meurtre, quand même...

— Je vous rappelle que c'est vous qui avez ouvert le bal.

— Ce n'est pas moi ! Je vous ai expliqué...

— Vous avez laissé la situation vous échapper, c'est idem. Vous avez merdé et je me retrouve à devoir vous couvrir au risque de me compromettre.

— Je...

— Ça suffit. Plus nous restons au téléphone, plus l'appel risque d'être repéré. Je me charge de l'enquêteur, faites ce que vous devez de votre côté.

— C'est-à-dire ?

— Rédigez un communiqué expliquant que vous condamnez les violences qui ont conduit au décès d'un agent des forces de police internationale. Ainsi, vous ne serez pas pris au dépourvu quand nous nous serons occupés de ce fouineur.

SÉRÉNA - WATTY AWARD 2019 WINNEROù les histoires vivent. Découvrez maintenant