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En quatre jours, la salle d'interrogatoire avait vu passer plus de suspect qu'en dix ans. Denoël, Miller et ses équipes s'y étaient relayé de manière ininterrompue durant quatre-vingt-douze heures, si bien qu'ils leur avaient fallu aménager la chambre d'observation attenante pour en faire un vrai lieu de travail intensif.

On avait installé un bureau plus grand et des sièges supplémentaires trouvés à la remise. Une cafetière et un mini-frigo rempli de boissons fraîches avait été emprunté à la salle de pause.

À la table des suspects, assise droite comme un « i », mademoiselle Lloyd attendait. Elle était pâle et d'une excessive maigreur. Sur son visage émacié, sa bouche était bien trop grosse et ses yeux bien trop grands. Mais quand elle vous fixait avec son regard triste, le charme opérait et elle était belle.

Face à elle : Miller et Denoël. L'inspecteur avait proposé au chef de la police de conduire l'entretien ; une façon d'apaiser un peu la tension qui avait atteint un summum dangereux.

Le commissaire avait une manière bien à lui de mener les interrogatoires, très scolaire, en suivant le formulaire officiel qu'il remplissait en parallèle sur sa tablette. Il attaqua donc, comme à chaque fois :

— Veuillez décliner vos nom, prénom, âge et profession, je vous prie.

— Elisabeth Lloyd, vingt-neuf ans, secrétaire de direction chez serena therapeutics.

— Nationalité ?

— Galloise.

— Hum...

Cette réponse sembla plonger le commissaire dans l'embarras.

— Attendez... dit-il. Je ne l'ai pas dans la liste du menu déroulant.

— Mettez « Britannique », dans ce cas.

— Ah. O.K.

Il cliqua.

— Bien. Nous pensons que vous avez assassiné le Dr Anatoli Kosloff et que vous avez fui pour échapper aux poursuites. Qu'avez-vous à répondre à cela ?

— C'est bien moi. J'ai tué Kosloff.

— Euh... O.K. Voilà qui est clair. Hum...

Un suspect avouant était toujours plus désarmant qu'un menteur. Voyant que le commissaire s'empêtrait, Denoël vola à sa rescousse.

— Racontez-nous toute l'histoire, mademoiselle Lloyd, sans omettre le moindre détail.

— Eh bien... Tout a commencé il y a deux ans, je dirais. Comme vous le savez, j'ai une délégation sur les comptes de l'entreprise, que j'utilise sur ordre de Matteo pour payer des fournisseurs, financer des projets...

— Matteo ? Vous voulez dire monsieur Di Benedetto ?

— Oui.

— Ah. Poursuivez.

— Un jour, il s'est mis à me donner des instructions bizarres. Effectuer des virements vers la Terre sur des comptes inconnus. Des sommes importantes.

— Il vous a donné les raisons de ces opérations ?

— Non. Et je n'ai pas demandé. Lorsque l'homme le plus riche du monde donne des directives, la secrétaire s'exécute sans poser de questions.

— Je vois. Mais vous aviez des soupçons.

— Bien sûr, c'était louche. J'ai d'abord pensé qu'il détournait de l'argent... Alors j'ai cherché plus avant et j'ai découvert que Kosloff le faisait chanter.

SÉRÉNA - WATTY AWARD 2019 WINNEROù les histoires vivent. Découvrez maintenant