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Antonin et Elliott entrèrent dans un petit restaurant reculé du centre-ville. Le petit blond jeta un coup d'œil au menu qui était affiché au-dessus du comptoir : c'était un fast-food. L'odeur de graisse pénétra dans ses narines et il ferma les yeux pour mieux en profiter. Il entendait, depuis les cuisines, les cuistots parler une langue étrangère et remuer les bacs à frites avec énergie. L'endroit n'était pas bien rempli, et les personnes présentes devaient sûrement être des habituées, celles qui, probablement, connaissaient le nom des serveuses alors qu'elles ne portaient même pas de badge. Les nappes qui recouvraient les petites tables étaient blanches à carreaux rouges, style années cinquante. Près du comptoir, il y avait un bar, lequel était longé d'immenses tabourets, tous occupés par des hommes à la bedaine exubérante et aux dents jaunies par le cigare et la bière. A droite, tout au bout de la salle et collée à la fenêtre, il y avait une table de libre, vers laquelle Elliott marcha d'un pas assuré. Ils s'installèrent, et Antonin regarda la rue qui s'offrait directement à eux.

-J'espère que ça te convient, commença le plus grand en ôtant maladroitement sa veste.

-C'est parfait.

Une des serveuses s'approcha. Elle était jeune, la trentaine à tout casser. Elle avait une robe jaune, un tablier blanc soigneusement noué autour de sa taille, et un petit calepin à la main. Son chewing-gum à la bouche, elle sourit lorsqu'elle vit Elliott.

-Mon dieu ! Comme ça fait longtemps ! Tout va bien, dans la famille ? Et Vanessa, elle a eu son diplôme ?

-Oui, tout le monde va bien. Elle est diplômée depuis le mois passé, avec encouragements.

-Tu la féliciteras de ma part ! Et toi, bientôt fini l'université, pas vrai ? N'oublie pas, si tu ne trouves pas de boulot, tu seras toujours le bienvenu ici.

Il sourit timidement.

-C'est ton ami ? continua-t-elle en remarquant – enfin – la présence d'Antonin.

-Tout juste. Antonin, je te présente Lise, une amie de la famille depuis presque toujours.

-Enchanté.

-Surtout, fais comme chez toi, Antonin, dit Lise. Qu'est-ce que je vous sers ?

-On prendra un sceau d'ailes de poulet, il faut absolument qu'il goûte la spécialité de la maison. Et rajoute nous deux milkshakes au moka. Merci, ma belle.

Lise ne prit même pas la peine de noter la commande sur son calepin et fit demi-tour dans un geste gracieux, ce qui fit virevolter les pans de sa robe. Antonin la trouvait passionnante dans sa façon de parler et de bouger. C'était sûrement le genre de fille qui ramassait compliment sur compliment dans la rue comme au boulot, à qui les habitués glissaient des pourboires tard le soir. Le style de fille que les femmes détestaient, mais que les hommes adoraient.

-C'est qui, Vanessa ? demanda Antonin.

-Ma sœur. Elle étudiait sur le même campus que nous, et le mois passé, elle a reçu son diplôme en arts graphiques. Ce qu'elle veut, c'est « se faire embaucher par une multinationale et empocher un max ». Enfin, ce sont ses mots, pas les miens.

-Elle est ambitieuse, j'aime ça. Et toi, tu veux faire quoi après ?

-C'est un peu hors de portée, mais j'aimerais écrire des nouvelles.

Antonin ouvrit grand les yeux, et sa bouche suivit.

-T'es écrivain ?

-A mes heures perdues, oui.

Fascinant. Plus Antonin en apprenait sur Elliott, moins il arrivait à le cerner. Malgré ses airs de trouble-fête, il regorgeait de ressources et se montrait toujours plus surprenant. D'abord timide, puis maladroit, et enfin, écrivain.

Count me in!Où les histoires vivent. Découvrez maintenant