VIII

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-Pitié, ne dis pas à Anto que tu m'as vu ici. On fera comme si rien ne s'était passé.

-Relax. Je ne suis pas une balance. Mais pourquoi t'es là, au juste ?

Ismaël retira son gilet et demanda un Mojito à Steve, le barman.

-C'est gênant. Je m'attendais vraiment pas à te voir ici. T'avais dit que tu venais les samedis !

-Tu évites la question.

-Bon, au point où j'en suis... Je m'ennuyais, tu vois ? Et j'ai repensé à notre première rencontre, ici. J'aimais bien l'ambiance, et par curiosité, je me suis dit que je reviendrais seul.

-Je comprends.

Elliott souleva son verre et trinqua avec son ami. Puis, il sortit son téléphone et sourit.

-C'est Anto, hein ? T'as l'air de beaucoup l'aimer.

-Pas qu'un peu, en effet. Si je te dis un secret, tu sauras le garder pour toi ?

Ismaël adorait les ragots. Sans plus attendre, il hocha la tête et attendit l'information croustillante. Elliott avala une nouvelle gorgée de sa bière puis se lança.

-J'ai eu un coup de foudre pour ton meilleur ami.

-Oui, ça, je l'avais vu. Et ?

-C'était il y a trois ans.

Ismaël resta bouche-bée.

-Attends, t'es en train de me dire que t'as tenu le coup pendant trois putains d'années ? Respect, mec. T'as une volonté de fer.

Comme pour encaisser le choc, Ismaël vida son verre cul-sec. Il en redemanda un autre, et l'entama aussitôt.

-Bah, ça valait la peine d'attendre. A Antonin, dit-il en levant son verre.

Une heure passa, puis deux. Ismaël était déjà complètement bourré, et il commença à se confier à Elliott.

-Je sais plus qui je suis.

-Comment ça ?

-Je sais même pas expliquer. Je suis perdu. Et puis merde !

Il engloutit les dernières gouttes de son septième verre et se leva, titubant. Il avança vers la piste de danse, et embrassa une fille qui dansait là.

Elle le gifla.

-Mais t'es con ma parole ?

-Oh, ça va ! Si on peut même plus s'amuser...

Ismaël dansa quelques instants mais ses gestes étaient désaccordés. Il ne savait plus où il était, ni où il habitait. Elliott tentait de le rejoindre pour le ramener chez lui, mais le bar était si bondé qu'il y était compliqué de marcher.

-Excuse-moi ?

Ismaël se tourna vers le garçon qui lui parlait. Il devait être âgé d'une vingtaine d'années, et il tenait un verre à la main qu'il lui tendit.

-Tiens, c'est sans alcool. Je pense que t'as assez bu pour ce soir.

-Trop gentil, merci.

Il vida le verre en quelques secondes.

-J'emmerde tout le monde, continua Ismaël. J'emmerde ma famille, et mes faux amis. J'emmerde ma conscience et mon putain de cerveau. Les gens traînent avec moi par pitié ! Je sers à rien. Tiens, tant qu'on y est, je t'emmerde, toi aussi. T'es beau, et tu le sais, hein ? En plus, t'aide un pauvre inconnu alors que je t'ai rien demandé. Putain, embrasse-moi.

-Pardon ?

L'inconnu le regarda et recula un peu. Il voyait bien qu'Ismaël avait trop bu, donc il encaissait les insultes sans broncher.

-Suis-moi, reprit-il. On va sortir et tu vas prendre l'air. T'es seul ?

-Nan, y'a l'autre poète, là-bas... Pourquoi tu veux pas m'embrasser ? Toi aussi, tu me rejettes ? Personne ne m'aime réellement, pas vrai ?

Il se mit à pleurer tandis que l'inconnu l'attirait vers l'extérieur. Au passage, ce dernier reconnut Elliott qui accompagnait Ismaël.

-Désolé. J'aurais dû l'empêcher de boire.

-T'inquiètes. Mais il devrait voir un psy, ton pote. Il pense que personne ne l'aime et il m'a demandé de l'embrasser.

-Hey, je vous entends...

Elliott frotta le dos d'Ismaël qui vomissait.

-Au fait, ça faisait longtemps, dit l'inconnu en sortant une cigarette.

-Oui. Et t'as toujours pas arrêté, je vois.

-On ne se débarrasse pas de ses démons aussi facilement, Elly.

Un courant d'air passa. Ismaël se redressa enfin, et s'essuya la bouche avec un mouchoir mentholé. Puis, il fouilla dans sa poche et prit un chewing-gum. Sous le regard ébahi d'Elliott, il s'avança vers l'inconnu et l'embrassa.

-Je te l'avais demandé gentiment, pourtant. Merci, maintenant je sais quel goût ça a, une bouche de mec. J'aurais bien embrassé Elliott, mais il a Antonin. Dommage, hein ?

-Je pense qu'on va y aller, maintenant.

-Oublie pas ta promesse. Tu ne m'as jamais vu ici, et rien ne s'est passé.

Elliott fit oui de la tête et salua son ami après l'avoir remercié d'avoir pris soin d'Ismaël.

-Tu le connais ? demanda ce dernier lorsqu'ils furent assez loin du bar.

-Longue histoire.

-Bah, raccourcis-la.

-C'est mon ex. Léo.

-Trop bien ! J'ai embrassé ton ex ! Le monde est petit, bébé.

Elliott approuva et soupira. Après quelques minutes de marche, ils arrivèrent enfin chez Ismaël.

-Dis, Shakespeare... Tu m'aimes bien ?

-Quelle importance ?

-Pour moi, ça en a. S'il te plaît, réponds.

-Oui, bien sûr. Pourquoi tu t'inquiètes de ça ?

Ismaël se pencha en avant et rit. Il s'accrocha aux manches d'Elliott, et le regarda, les yeux humides et le sourire aux lèvres.

-J'me sens seul, putain.

Il se laissa tomber dans les bras du plus grand et inspira une bouchée d'air frais.

-Tu veux un câlin ?

-Je dirais pas non.

Elliott enroula ses deux bras musclés autour du fin Ismaël qui tremblait. Il eut beaucoup de peine pour lui et le serra pour lui rappeler qu'il n'était pas seul.

-Merci, Elly. T'es un bon ami.

Il lui fit la bise et fit demi-tour, vers son appartement.

-Attends ! cria Elliott. Tiens, mon nouveau numéro. Appelle-moi si tu te sens mal, ou si tu veux juste discuter. D'accord ? A n'importe quelle heure.

Ismaël le remercia une nouvelle fois et s'éclipsa. Elliott, lui, refit le chemin inverse, direction son studio. Il n'eut pas le temps de faire dix mètres qu'une fille l'interpella.

-Désolée de te déranger aussi tard, mais ça te dit qu'on discute un peu ?

Count me in!Où les histoires vivent. Découvrez maintenant