XII

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Lundi matin, cours de traduction japonaise. Ismaël faisait reposer sa tête contre l'épaule d'Antonin qui ne décrochait pas les yeux de sa feuille : il avait de nombreuses lacunes dans ce cours. Dans sa main, Ismaël tenait son portable qu'il chérissait depuis deux jours. A longueur de journée, il recevait des messages de Joshua qui lui racontait ce qu'il faisait, où il allait, ce qu'il mangeait et même quelle musique il était en train d'écouter. Il reçut un nouveau texto et répondit instantanément.

Message reçu de : Joshua

« Je me fais chier. J'ai très envie de te voir. »

Ismaël voulait aussi le revoir, mais il avait peur. Il ne savait plus trop comment se comporter, quoi dire, que porter, où aller, tout ça. Pourtant c'était inévitable, ils allaient devoir se revoir.

-Tu me déconcentres avec ton téléphone, dit Antonin en tentant de voir ce que son meilleur ami faisait.

-Désolé.

Ismaël tourna l'écran de manière à ce qu'il ne puisse plus voir quoi que ce soit.

Nouveau message à : Joshua

« Moi aussi. Ciné ? 20H ? »

Il aimait le cinéma. Pas besoin de parler, ce n'était pas cher, et c'était une option sûre. Il vérifia discrètement dans sa poche et sourit quand il vit les trois billets dont il disposait.

Nouveau message à : Joshua

« Je t'invite. »

Message reçu de : Joshua

« T'es adorable. Rejoins-moi au parc, on prendra le bus ensemble. »

Parfait. Ismaël avait déjà la gorge nouée, mais il était content de sortir avec Joshua. Il n'était pas un garçon qui restait enfermé chez lui, au contraire, plus il sortait mieux il se portait. En dehors d'Antonin, il avait de nombreux amis avec qui traîner les soirs et cela l'arrangeait. En y réfléchissant, il se dit que peut-être la solitude l'effrayait. Chacun ses peurs après tout.

La cafétéria était presque vide. Le temps, au fil des jours, devenait de plus en plus beau et les températures augmentaient considérablement. Bientôt, tout le monde pourrait laisser les manteaux au placard et sortir shorts et robes.

-C'est moi ou tu mets moins de gel, Rimbaud ?

-Tiens, t'as changé mon surnom ? Oui, c'est Antonin qui me l'a conseillé. T'en penses quoi ?

Elliott fit secouer ses boucles noires. Antonin le regarda faire avec amour et fierté.

-T'es beau comme une sirène, répondit Ismaël. Anto, tiens – il lui tendit une serviette – t'as un filet de bave.

-Les garçons, on n'a pas cours demain. Le prof d'anglais est absent, les coupa Lou-Ann.

-Merci déléguée.

Elle s'en alla après avoir donné des billets à Antonin.

-C'est quoi ? demanda Elliott.

-Elle me rembourse la bouffe, alors que je lui avais dit que c'était bon.

-Au fait, dit Ismaël, tu te souviens quand elle voulait te parler ? Elle te voulait quoi ?

-Confession d'amour. J'ai foutu mon premier râteau.

-J'aurais jamais pensé qu'une fille comme elle s'intéresse à un gars comme toi, se moqua Ismaël.

-Waw, merci, je t'aime aussi. Et je pensais que tu la détestais ?

-C'est pas ça. Elle et moi, on est comme l'eau et l'huile. On peut pas se mélanger, mais je l'aime bien. Elle est jolie, intelligente, et elle aime l'art. Que demander de plus ? Le problème, c'est qu'elle te colle de trop, j'aime pas ça. Et je pense qu'elle est jalouse de moi aussi, vu que je suis toujours avec toi. Tu vois ? Incompatibles.

-J'en reviens pas que t'es jaloux.

-C'est normal, non ? T'es mon meilleur ami, pas le sien. Si j'avais pu coller une étiquette sur toi pour que tu m'appartiennes, je l'aurais fait.

-Ta phrase est vraiment bizarre, intervint Elliott. Antonin n'est pas un objet.

-Mille excuses, mon seigneur.

Antonin embrassa Elliott et se cala dans ses bras. Ismaël regarda son téléphone, et lorsqu'il vit qu'il n'avait aucun message, il soupira. Le temps lui semblait être long.

-T'attends quelque chose ? demanda Elliott.

-Non, pas du tout. Je pensais juste au nombre d'heures qu'il nous restait avant de sortir de ce trou pourri. On y va ?

Il était presque dix-neuf heures, Ismaël sortait de la douche. Il enfila un de ses innombrables jeans troués, un pull bleu marine en coton, et s'aspergea d'eau de toilette. Il passa ensuite un peigne dans ses cheveux bruns, ce qui replaça immédiatement ses mèches rebelles. Avant de sortir, il alla chercher un paquet de chewing-gum dans son armoire, puis il prit soin de fermer sa porte à clé et marcha vers le parc. Il était en avance, il le savait, pourtant Joshua était déjà assis sur le même banc qu'ils avaient occupé deux jours plus tôt.

-Joli pull.

-Merci. T'as fait une tresse dans tes cheveux ?

-Ouais. Comment tu me trouves ?

Ismaël chercha une réponse qui ne ferait pas trop coincé.

-Très beau.

Il ne mentait pas. Joshua était sincèrement beau, et son visage respirait la joie de vivre. Ses yeux bleus, un peu rieurs, mettait directement son interlocuteur en confiance. Il n'était pas beaucoup plus grand qu'Ismaël, à peine quelques centimètres séparaient leurs visages. Il avait des lèvres généreuses et un long nez, les sourcils épais ainsi que des petites taches de rousseur sur les bords de ses joues. Il ressemblait à une poupée.

Le trajet en bus fut calme. A vrai dire, Ismaël s'était mal préparé et n'avait aucune idée de quoi parler. Joshua, lui, regardait par la vitre et n'osait pas forcer Ismaël à dire quoi que ce soit. Alors ils restèrent silencieux jusqu'au moment de choisir le film.

-Tu veux voir quoi ? demanda Joshua.

-Je les ai tous vus. Choisis-en un.

-C'est nul. J'aurais voulu voir tes expressions.

Il pressa son doigt contre l'écran de la machine et sélectionna « Jurassic World 2 ».

-Fan de dinosaures ?

-Je les trouve mignons.

-Mignons, mais ils pourraient te bouffer en deux secondes, le rectifia Ismaël.

Il introduit les billets et deux tickets sortirent. Joshua se pencha et les attrapa, puis ils allèrent vers la salle indiquée.

-Sinon, en dehors des dinos, c'est quoi ton animal préféré ?

-Les chiens. Je suis un mec qui a besoin d'affection, et eux me la donne. C'est génial, hein ?

-Je préfère les chats. Ils font chier personne.

-T'es pas tactile ?

-Si, si. Avec les humains.

Joshua nota cette information dans son bloc-notes imaginaire.

La majorité des sièges étaient pris, mais il en restait deux côtes à côtes sur le bord de droite. Ils se hâtèrent et s'assirent. Il ne fallut pas longtemps pour que les pubs se terminent et que la lumière baisse, le film commençant enfin. Sur l'écran géant, des bestioles toutes aussi affreuses les unes que les autres. Certains rires s'élevèrent dans la salle, puis des cris de sursaut. La musique était entraînante, le scénario n'était pas trop pourri, et les acteurs jouaient bien. Ismaël était pris dans le film pour la seconde fois lorsqu'il sentit Joshua l'interpeller d'un petit coup dans l'épaule.

-Tu veux ?

Ismaël baissa la tête et vit la main de Joshua dos contre le repose-bras, ses doigts écartés attendant sagement d'être rejoints. Il déglutit, mais machinalement, il alla caler sa main dans la sienne. 

Count me in!Où les histoires vivent. Découvrez maintenant