07 - Chapitre 6

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8h20. On commence par de la philosophie en cours en amphithéâtre. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai l'impression que ce sera le summum de l'ennui. Ça a toujours été comme ça au lycée. Pas que ce n'était pas intéressant, non loin de là c'est une matière passionnante, mais alors les professeurs ont toujours eu un don pour la rendre soporifique...

Il reste 2 minutes avant le début du cours, en attendant je regarde mes cours sur mon pc et je trifouille un papier de biscuits vide.
Quand le professeur arrive et s'assoit, d'autres élèves en retard se dépêchent de rentrer, et parmi eux, je vois une tête qui m'est maintenant assez familière. Un jeune homme, avec ses cheveux ébouriffés probablement par le vent, son pull gris et ses écouteurs, monte les escaliers de l'amphi en panique. Évidemment le jeune homme en question, c'est Mark. C'est drôle le fait que quand tu rencontres une personne, tu prends conscience qu'elle existe, tu commences à la remarquer et par conséquent à la croiser plus souvent. Avant cela, autant dire que je ne le calculais pas du tout.

Je suis partagée entre une légère tristesse, mais aussi un soulagement qu'il ne m'ait pas vue. C'est vrai franchement, n'oublions pas qu'en plus de ne pas avoir de facilités monstres en communication, je n'ai pas une face propice à une conversation en bonne et due forme aujourd'hui. Je baisse le regard et continue de jouer avec mon papier de biscuits en attendant que le professeur prenne la parole. Il ne me donne pas une super impression d'ailleurs, ce prof : cheveux plaqués sur la tête avec la bonne vieille mèche sur le côté, lunettes surdimensionnées et un gros dossier de cours entre les mains. En bref, un énorme cliché du prof de faculté qui a fait gentiment ses 10 ans d'études en étant major de promo tout le long. J'espère que le cours ne reflète pas en totalité son apparence...

Pendant le cours, je me rends compte que le contenu est très intéressant, chose qu'évidemment le professeur ne met absolument pas en valeur. Je me capte rapidement en train d'être ailleurs, à penser notamment à mon camarade Mark. Tiens, tiens, c'est étrange. Après, quand quelque chose n'est pas assez intéressant pour moi, c'est très facile de me laisser déconcentrer par autre chose. Enfin, j'aurais pu penser à autre chose, quand même. Je ne sais pas, d'une manière ou d'une autre, je m'inquiète tout particulièrement de la façon dont il me voit. Je pense que je ne veux simplement pas être un boulet pour lui et par rapport au travail qu'on a à faire ensemble. Je ferai de mon mieux pour ça, et puis au moins ça me donnera une raison de travailler sérieusement.

À la fin du cours, je m'empresse de descendre de l'amphithéâtre et de me diriger vers la sortie, sans regarder personne, tel un cheval avec des œillères. Je me dirige vers le bâtiment des salles de cours standards, et une fois arrivée je me cale contre le mur, yeux rivés au sol. On dirait que mon groupe de classe a commencé à bien sympathiser, j'ai l'impression que différents groupes d'amis se côtoient. Les top models de la classe parlent aux filles sages, et les sosies de Kanye West ont trouvé des autres sosies de rappeurs à leur image. Sinon, moi je suis là, je regarde le sol... D'ailleurs je me demande comment ils ont pu sympathiser, à quel moment. Moi aussi j'aimerais connaître les secrets pour avoir plein d'amis, un peu comme ma Jenna. D'ailleurs, qu'est-ce qu'elle devient ? Je n'ai reçu aucun message d'elle depuis que je lui en ai envoyé un, et j'ai encore oublié de lui demander de ses nouvelles personnelles... Ce qui est certain, c'est que moi le secret pour développer des amitiés, je suis passée à côté.

En plein dans mes pensées, je commence à voir la silhouette de quelqu'un juste face à moi. Tiens, encore toi...

« — Hey Mia. Mark s'exclame, avec un petit sourire enjoué.
— Oh, Mark ! Tu m'as fait peur !
— Oh mince, excuse-moi, c'était pas voulu... son sourire enjoué se transforme en sourire gêné, et il commence à se frotter les mains d'anxiété.
— T'en fais pas, hein. Alors nos groupes ne changent jamais ?
— J'ai pas l'impression. C'est toujours les mêmes élèves qu'il y a dans le groupe.
Mais ça veut dire qu'en principe, je suis sa seule amie dans ce groupe ? Alors ça, c'est un gros point positif. Pas besoin de sympathiser avec un nombre inutile de personnes, et ça, ça fait du bien.
— En fait, dans un sens ça me rassure tu sais, je ne connais vraiment pas grand monde ici.
— Ah ne t'en fais pas moi non plus ! Mais c'est parce que j'habitais plutôt loin.
— Ah bon ? Mais tu habitais où ?
— J'habitais à Vancouver, mais j'ai déménagé à Toronto cette année.
— Ah oui mais c'est vraiment super loin Vancouver !! mais alors, tu ne connais vraiment personne ? Je ne sais pas pourquoi, mais cette information m'apporte grande satisfaction.
— Personne, à part toi et d'autres personnes à qui j'ai posé des questions, par-ci par-là. Le pauvre, il doit se sentir bien seul...
— Eh bien écoute on est dans la même situation, j'ai rencontré une fille à la rentrée, mais bon, elle a trouvé d'autres amies alors j'ai laissé tomber.
— C'est compliqué de s'intégrer dans un groupe d'amis sans se sentir tache. »
Quand Mark commence à ouvrir son cœur et que la discussion devient intéressante, une professeure arrive à la vitesse de la lumière sans passer par une quelconque politesse, ouvre la porte et nous demande d'entrer. Elle a pas l'air sympa et Mark a l'air contrarié que notre conversation en soit écourtée. Je le suis moi aussi. Je lui lance un regard triste et nous rentrons dans la salle.

Le cours débute dans une ambiance particulièrement tendue : la chargé de travaux dirigés n'hésite pas à relever que l'année sera dure et qu'elle demandera un taux de travail colossal. Je me rends compte de la panoplie de personnalités des professeurs de cette fac : au moins c'est certain qu'en devenant prof ici, on ne devient pas des robots...

Mark n'a pas l'air très concentré aujourd'hui. Il regarde ailleurs, et surtout il écrit sur un bout de papier grossièrement déchiré d'un cahier... je me demande bien ce qu'il écrit et ce à quoi il pense. Bon, je ne vais rien tenter pour le moment, on se connaît trop peu pour ça. Je me contente d'écrire ce que j'entends, et j'essaie de comprendre ce que la professeure raconte malgré toute l'amertume qu'elle peut ajouter à ses mots. Je jette des coups d'œil discrètement à Mark, pour voir comment il va. J'espère qu'il n'est pas dans cet état parce qu'il se sent seul, ou pire même, parce que je lui ai rappelé qu'il était seul. Évidemment je ne vais pas lui demander, je veux pas être invasive, mais en même temps je me sentirai mal de ne pas lui demander si c'est vraiment ma faute. Je tenterai de lui demander à la fin du cours.

Mark n'a pas parlé de tout le cours. Ça a fait comme un vide, on a eu des interactions qui se limitaient à des sourires crispés. Ça m'a rendue triste. J'ai vraiment l'impression que c'est dû à notre conversation de tout à l'heure. À la fin du cours, au moment où nous nous levons, j'essaie d'engager une conversation :

« — On mange ensemble ?
Il commence à me regarder, et esquisse enfin un sourire qui ne me semble pas forcé.
— Ah, oui, bien sûr. »
Il baisse rapidement les yeux, toujours un léger sourire au lèvres, en soupirant.

Nous nous dirigeons vers le restaurant universitaire, il ressemble à un bâtiment du futur, tout blanc avec une forme atypique, on dirait un peu un chewing-gum. Quand on y entre, ça se passe comme à la cantine : on prend un plateau, on se sert, on s'assoit à une table. C'est exactement ce que Mark et moi faisons, encore une fois sans aucun bruit. Une fois installés, je ne peux pas m'empêcher de lui demander ce qui ne va pas :

« — Dis Mark, tu as l'air fatigué.
— Ah ? Haha, non, ça va très bien. C'est juste que la prof de tout à l'heure m'a pompé mon énergie.
Ce fameux rire gêné que je connais maintenant si bien parvient à mes oreilles. Il y a probablement une part de vrai, mais je ne pense pas que ce soit tout. Enfin, si c'est tout ce qu'il a dit, c'est que c'est tout ce qu'il a décidé de me dire. Je n'en demanderai pas plus.
— Ne m'en parle même pas ! Déjà que moi pour me concentrer c'est pas simple, alors avec elle c'était l'enfer ! »
Nous continuons à parler avec bonne humeur de la journée pourrave que nous avons eue ce matin, et apprenons à nous connaître plus pleinement.

Mark est d'origine coréenne, mais il a toujours vécu au Canada, et pour un temps limité aux États-Unis. Dans sa famille, ils ont un rapport plus ou moins intime avec la musique, et j'entends dans la façon dont Mark parle la passion qu'il en a retiré et sa personnalité réfléchie. Avec le peu de temps qu'on a passé ensemble, j'ai pu discerner que c'est quelqu'un de profond et qui fait les choses avec beaucoup de passion. Il ne passe pas énormément de temps avec sa famille depuis la rentrée puisqu'il doit maintenant habiter seul dans un appartement à Toronto, ça ne doit pas être facile. Il m'inspire vraiment de la sympathie, ce Mark. Malgré le fait qu'il était triste, et je le voyais bien, on dirait qu'il faisait en sorte que je ne m'inquiète pas pour lui et gardait toujours un sourire sur son visage.

En fait, j'ai hâte de savoir comment cette amitié naissante va évoluer.

Tiens ! J'étais tellement concentrée à autre chose que j'en ai oublié que j'avais une sale tête...

Éclosion | Mark LeeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant