Chapitre 5

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Harry
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La musique a le don de s'adapter aux humeurs et génère en chacun de nous une palette émotionnelle particulière. C'est la raison pour laquelle je ne choisis jamais les musiques que j'écoute au hasard. Je suis persuadé qu'elles sont en adéquation avec notre état d'esprit du moment, car chaque chanson porte en elle son poids d'émotions. Chaque instrument, chaque mélodie est capable de venir compléter notre état intérieur, dont certaines sont tellement fortes qu'elles soulèvent un tas de souvenirs dès les premières notes. La musique m'emporte personnellement dans une série de variations profondes et je sais que mon beau-père partage mon point de vue sur ce concept.

- « Madame George »... Acquiesce Robin face à ce nouveau titre de ma playlist.

Lors de nos trajets aller-retour entre Holmes Chapel et Manchester, la musique tient une place de choix. Elle nous permet d'échanger inlassablement sur nos goûts musicaux communs, dont les consonances de ce vieux tube de Van Morrison ravivent les vestiges de mon enfance. Avec ses sonorités bohèmes, il me ramène des années en arrière, lorsque mes préférences musicales se façonnaient au rythme des attirance éclectiques de mes parents.

Tandis que nous fredonnons ensemble les paroles, je ne peux m'empêcher d'être fier que cette convergence de goûts soit encore intacte. Lorsque vient le moment du solo de violon, le silence retrouve sa place presque religieusement. Depuis près de deux ans que nous effectuons ces déplacements médicaux ensemble, ces instants de détente en voiture sont devenus un rituel immuable.

Nous arrivons dans l'allée de la maison familiale sur les dernières note de la chanson. Après un été qui s'est éternisé jusqu'à début octobre, l'automne commence à reprendre ses droits. Une brume impénétrable s'installe en même temps que la tombée de la nuit, créant un léger voile qui tamise la lumière du soleil. En ralentissant modérément mon allure, je gare mon 4x4 au millimètre près, tout en jetant un regard en coin à mon copilote pour qui stationner correctement devant chez lui est primordial. Un rictus lui monte au visage.

- Je suis si tyrannique ? Finit-il par me demander en riant.

- Si peu.

Je ris à mon tour et coupe le moteur. Dès l'instant où la musique cesse, j'ai le sentiment que Robin n'est pas vraiment pressé de rentrer. Au contraire, l'accalmie de l'habitacle semble l'apaiser, comme s'il entrait dans une sorte de méditation. Je ne dis rien et attends avec lui quelques instants dans le silence, jusqu'à ce qu'il ne se racle la gorge pour parler de nouveau.

- Tu sais, je ne m'extériorisais pas beaucoup quand toi et ta sœur étaient petits. Je laissais cette tâche à votre mère. J'ai toujours eu tendance à penser que mon rôle n'était pas de prendre la place de votre père.

Je suis un peu surpris qu'il se mette subitement à aborder le passé de la sorte, comme pour alléger son esprit. J'imagine que notre périple musical y est pour quelque chose.

- Robin, tu n'as pas à te justifier, je t'assure. Gemma et moi n'avons manqué de rien.

Il remue légèrement sur son siège et croise les bras sur son torse, sans me regarder, comme il le fait pour manifester sa pudeur face aux sujets sensibles.

- Ce que je veux dire c'est que malgré toutes les précautions que je prenais à laisser l'espace nécessaire à Desmond dans vos vies, je n'ai jamais cessé de vous considérer comme mes propres enfants.

Une quinte de toux succède à ses mots pour en atténuer les effets. Moi aussi de mon côté, j'ai la gorge serrée. Je lui tapote l'épaule.

- Tu prêches un convaincu.

YOURS. // Tome 4Où les histoires vivent. Découvrez maintenant