Chapitre 14

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Joy
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Adolescente, je ne pensais qu'à une chose. Devenir adulte pour enfin être libre d'accomplir mes rêves les plus fous et surtout, avoir le choix de faire ce que je veux. Comme si atteindre cette liberté absolue était un but ultime. Même plusieurs années après, il n'est toujours pas si simple d'être responsable de ses choix et totalement sûr des décisions que l'on prend pour notre avenir, en restant fidèle à ses ambitions. Au fond de ma tête, j'ai toujours une angoisse sourde de me perdre, de me tromper, une lourdeur oppressante, qui me gâche le plaisir de me dire que je suis enfin aux commandes de ma vie sans personne pour me brider. Peut-être suis-je un peu trop nostalgique de cette période d'insouciance gommée par l'âge adulte. Désormais, je suis beaucoup plus pragmatique et cette frivolité me manque énormément. Surtout lorsque je suis face à un adolescent dans toute sa splendeur qui parvient subtilement à me renvoyer ma maturité en pleine figure.

- Donc ici, tu as les essuie-glaces, les clignotants, les feux de position, ceux de croisement, les plein-phares, le klaxon...

Ce son mélodieux va tellement me manquer. Je me retourne vers le jeune individu boutonneux assis à ma gauche en arborant un immense sourire suite au joyeux signal sonore émis par Pénélope et constate qu'il s'en tamponne toujours autant le coquillard. Voyant que j'attends sa réaction, le gringalet finit par soulever la mèche de cheveux qui lui tombe devant les yeux et me fixe avec une expression sans vie. Je le relance une nouvelle fois.

- Tu as bien tout suivi ?

- Ouais, c'est cool.

C'est cool. Il se fout de moi ou est-ce une impression ? Je prends le temps de bien lui montrer que chaque commande fonctionne à la perfection malgré l'âge de la voiture et j'ai le sentiment qu'il subit ce moment de démonstration comme une punition. Je ne vais tout de même pas le laisser filer au volant d'un tel bolide sans un minimum d'explications.

Je saisis que mes efforts sont vains lorsqu'il se met à tester le son de l'autoradio en le poussant au maximum, faisant grésiller les délicates enceintes vintage.

- Oula, vas-y doucement sur le volume. Les baffles ne sont plus toutes jeunes.

De nouveau, aucune réponse. Juste une tronche hébétée qui semble vouloir dire que peu importe ce que je lui conseillerais, il fera tout le contraire quand je lui aurai remis la clé. Il n'attend qu'une chose, c'est terminer cette transaction au plus vite. J'avais imaginé mieux comme passation de propriétaire, mais il faut bien avouer qu'avec une seule réponse à ma petite annonce, je ne peux pas vraiment jouer les fines bouches.

- Le prix est ferme ? Finit-il par demander en sortant une liasse de billets de son jean.

Alors là, s'il s'imagine qu'il est en mesure de négocier, il peut rêver.

- Neuf cents livres. Et à ce prix, le gratte-givre et la peau de chamois pour essuyer la condensation sont offerts.

- Je n'ai que huit cents sur moi. Dit-il en me regardant fixement. Mon vieux n'a pas voulu m'en donner plus vu l'âge de la caisse. C'est à prendre ou à laisser.

Je peste intérieurement.

- Désolé, mais elle ne vaut pas moins de neuf cents.

- Bien, comme vous voudrez. Capitule-t-il en s'apprêtant à sortir de l'habitacle.

Il est dur en affaires. Tandis qu'il s'éloigne, la promesse faite à Harry en partant tout à l'heure me revient à l'esprit. Je lui ai dit que je rentrerais sans elle quoi qu'il arrive. C'est soit je la vends à ce jeune, soit j'en fais don pour pièces au garage le plus proche. Et merde. J'ouvre ma portière.

YOURS. // Tome 4Où les histoires vivent. Découvrez maintenant