Prologue

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J'avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie. La guerre faisait rage, de toute part. Paris était peuplée de veuves, de jeunes filles, d'enfants et de vieux hommes. Papa était mort en Artois et maman avait perdu la voix. Nous n'avions reçu aucune nouvelle depuis des mois et ce fut un fantassin du nom de Marius Fleury qui nous l'annonça, un camarade de mon très cher père. « Condoléances » fut alors le dernier mot de ma mère. Trop accablée, elle se refusa de continuer à lire la missive. On n'entendit plus jamais sa voix, partie au ciel avec son défunt époux.

Maman étant devenue incapable de travailler à cause de son traumatisme, je dû alors prendre sa place aux usines André Citroën, fin 1915. La journée, je produisais des dizaines et des dizaines d'obus. Le soir, je rejoignais ma mère muette, au sourire mort depuis bien des mois.

Un terrible sentiment de solitude enfla dans mon coeur au fil des jours et, un matin, sur le chemin du quai de Javel, j'achetai un Figaro. En première page, une annonce pour La Famille du Soldat, une association créée dans le but de soutenir les soldats solitaires. C'était alors évident. J'envoyai ma candidature à l'adresse indiquée sur l'annonce et, une semaine après, j'étais marraine, marraine d'un certain Marius Fleury, fantassin du 119ème régiment d'infanterie, tout comme papa. Cette coïncidence me fit d'abord peur puis, je me dis que le bon dieu en avait décider ainsi.

Après une dure journée de travail, je m'arrêtai à un café. Je demandai du papier et un crayon au propriétaire et m'attablai dans un coin de la salle, une cigarette tombant mollement au coin de mes lèvres. Les mots s'étalèrent sur la feuille avec une habilité déconcertante, comme si ma main attendait ce moment depuis une éternité.

« 12 Février 1916

Mon cher Marius,

Le ministère a bien reçu votre demande, me voilà donc marraine. Je me nomme Diane de Maufrigneuse, une simple munitionnette dans une malheureuse comédie humaine. Mon père était un grand littéraire, son nom de famille étant du pain béni. Dès ma naissance, mon prénom fut alors une évidence. Mon cher paternel défendit la France à vos côtés et nous quitta en Artois. Merci pour votre lettre, ainsi que la plaque : elles restent depuis dans le tiroir de ma table de chevet.
Je vous en prie, armez vous d'avantage d'espoir que de courage. Je murmurerai votre nom chaque jour, vous souhaiterai bonne nuit comme bon matin. D'où vous êtes, vous entendrez mes mots, j'en suis certaine.

Avec toute mon affection,

Diane de Maufrigneuse

53 Rue Cambon, 75001 Paris»

Je ne tardai pas de déposer ma lettre dans la boîte publique la plus proche. Le propriétaire du café m'offrit le crayon, un modeste cadeau. Il me raconta que ce simple objet appartenait à son défunt fils puis m'intima d'une voix rauque, ses petits yeux clairs me fixant avec désarroi : « Que votre Marius vive, pour votre père, pour mon fils. ».

Ma chère MarraineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant