22 - Une valse sous le ciel

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Vendredi 22 décembre

04h05.

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S'est tenu ce soir le premier grand banquet de ce que je pense voir devenir une tradition au château. Je le sens. Ce fut un franc succès, une réussite telle que Wïane elle-même a avoué avoir passé un agréable moment. Je profite de ces festins tant que je le peux encore. Le conseil veut organiser mon couronnement rapidement. La cérémonie se prépare. Dans trois jours, je serai roi.


Je savais que je pouvais faire confiance à nos cuisiniers pour régaler les palais raffinés de la Cour. J'ignorais cependant que le paysan que j'ai engagé il y a à peine quelques jours ferait à ce point l'unanimité. Il faut dire que sa maîtrise de l'élément est vraiment impressionnante. Il a charmé les membres du conseil en un temps record, a apprivoisé son public en quelques instants et l'a entraîné à sa suite dans un spectacle envoûtant. La noblesse est mélomane et elle ne peut jamais résister bien longtemps à un rythme aussi entraînant. J'étais anxieux à l'idée de voir l'homme à l'œuvre. Je craignais de l'avoir jeté dans l'arène sous les crocs acérés des esprits gangrénés. La Cour peut se montrer extrêmement cruelle lorsqu'elle a décrété qu'un art ne convenait pas à ses goûts.

Mais mes peurs étaient vaines. Elle l'a acclamé bien plus fort que moi. Il reviendra au prochain repas. J'aimerais essayer de l'encourager à engager d'autres danseurs et manieurs de feu à ses côtés. Peut-être tiens-je ici les prémices d'un nouvel art de cour. Cela me réjouirait grandement. J'ai passé tout le repas à battre discrètement la mesure du talon sous la grande table de pierre. L'étiquette m'empêche de danser. Il serait malvenu pour le prince héritier, le futur couronné, de se trémousser sous les yeux de ses sujets. La musique me tente, pourtant. J'aimerais tant pouvoir laisser la mélodie me guider, oublier, juste oublier, et me sentir vibrer dans son sillage.





Je me suis contenté de sourire à mon assiette et de siffloter à voix basse. Mes murmures se mêlaient à la musique. On ne m'entendait pas, et pour une fois, je me suis complu dans ce silence. Le son me protégeait plus qu'il ne me forçait à disparaître.

Si le conseiller à ma gauche et Wïane à ma droite m'ont entendu fredonner, ils se sont abstenus de tout commentaire. Siànan souriait, les bras chargés de mets à l'autre bout de la salle.

La soirée s'est déroulée sans encombre. Je me suis excusé lorsque les flûtes se sont mises à chanter. La Cour serait bientôt toute entière jetée dans une valse endiablée et je n'avais aucune envie de rester pour l'admirer. J'étais jaloux, jaloux de sa liberté.

Les battements des percussions m'ont accompagné dans les escaliers.

J'avais la main sur la poignée de mes quartiers lorsque Siànan m'a arrêté. Il avait couru à ma suite pour me rattraper. Je lui ai jeté un regard interrogateur. Il a vérifié que le couloir était désert d'un coup d'œil avisé, il a souri, posé son index sur ses lèvres pour m'intimer au silence et m'a tiré par le poignet à sa suite. Un jour, il faudra que je lui dise que cette familiarité pourrait lui coûter la vie si nous étions surpris. Mais je n'avais pas le cœur à m'extirper de sa poigne chaude et invitante.

Je l'ai suivi.

Nous nous sommes glissés dans des quartiers abandonnés. Il connait le château dans ses moindres recoins et cela n'a de cesse de m'impressionner. Il m'a tiré sur le balcon, sur une grande esplanade camouflée à tous les regards juste au-dessus de la cour intérieure. On entendait clairement la musique et les éclats de voix en contrebas. Mais nous étions camouflés. Personne ne pouvait nous voir tant que nous ne parlions pas trop fort. Il aurait fallu que nous nous penchions par dessus la balustrade pour que la Cour aperçoive nos silhouettes. Le soleil qui venait de disparaître derrière le volcan projetait sur nous ses derniers rayons orangés. Siànan me regardait avec un sourire qui peignait des étoiles dans ses yeux.

Le Journal du RoiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant