09 - Les souvenirs que l'on brûle

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Samedi 9 décembre

21h18

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La nuit dernière, j'ai été attaqué.


Sur les coups de trois heures du matin, on est venu tambouriner à ma porte. J'ai à peine eu le temps d'enrouler un foulard autour de ma tête que Zan et Aodh faisaient irruption dans mes appartements. Elles étaient essoufflées, Aodh blessée. Il y avait du sang sur sa tempe et elle serrait compulsivement son épée. Elles ont claqué la porte derrière-elles comme si elles avaient la mort aux trousses.

Kaën, ont-elles soufflé d'une même voix, Kaën, sédition, révolte, en route vers mes quartiers, quelques minutes à peine, danger.


Il voulait ma tête.

Zan m'a demandé de fuir, de partir tant qu'il était encore temps.


J'ai hésité. J'ai pensé à mon cœur, au monstre, à ce qu'il se produirait si le royaume tombait aux mains de Kaën. J'ai imaginé son règne. Cela serait mentir que de dire que je n'ai pas contemplé l'idée d'obéir. Fuir aurait été plus simple. Mais fuir n'aurait rien réglé.

Alors je suis resté. J'ai chargé Zan de courir réveiller Siànan puis de sonner l'alerte. Par expérience, je sais qu'il faut à la garde une bonne dizaine de minutes pour arriver. Il en faut trois à Siànan quand il dort, et encore.


Le médecin de la Cour a disparu derrière les portes et le son de ses foulées s'est éloigné. J'ai demandé à Aodh de prêter serment. Je lui ai demandé de s'enfermer à son tour dans le secret. Elle a mis pied à terre sans hésiter et j'ai retiré mes voiles. Il y avait de la stupeur dans son regard, de la peur et de la tristesse. Je n'ai pas pu le soutenir plus longtemps.


J'ai fait mine de me recoucher. Elle est allée se poster derrière la porte, dissimulée sous une épaisse tapisserie. J'ai fermé les yeux au moment où la porte grinçait.


Kaën est entré avec cinq généraux lourdement armés. Leurs épées cliquetaient contre leurs hanches et leurs pas feutrés me semblaient aussi bruyants que des coups de tonnerre. Aodh a attendu qu'ils soient tous entrés dans la pièce pour surgir hors des ténèbres et abattre les deux premiers. Le feu a giclé.


J'ai ouvert les yeux sur le visage de Kaën. Une dague blanche était serrée dans son poing. J'ai bondi hors de mon lit, la lame que je garde sous mon oreiller à la main, et visé son œil. Le sang a roulé malgré son mouvement de recul. Le fer a pénétré la chair et peint de rouge sa tempe droite. Il a rugi. Deux généraux ont laissé Aodh et se sont rués sur moi.


La suite n'est qu'un nœud de feu et de combats dans ma mémoire.


Je me suis retrouvé au sol, écrasé sous le poids de Kaën. Sa main droite s'enfonçait dans les cicatrices qu'il a lui-même causées sur mes épaules. Le tisonnier était à quelques centimètres de mes doigts, je ne pouvais pas l'atteindre. Le catgut a sauté, je me suis mis à saigner. Il a de nouveau levé sa dague, visé mon cou.


Aodh l'a tiré en arrière. Le fer a plongé entre ses côtes. Elle s'est écroulée. J'ai saisi le tisonnier. Le dernier général s'est rué sur moi et je l'ai assommé. Le sang a roulé contre le métal et sur mon tapis.


J'ai réussi à plaquer Kaën au sol. Mes genoux l'étranglaient lorsque Siànan est entré.


Nous l'avons menotté. J'ai remis mes voiles.


La garde est arrivée. Ils ont évacué Aodh sur un brancard. Elle crachait du sang.


Le jugement s'est déroulé à peine quelques heures plus tard.


Kaën n'a même pas tenté de se défendre. Il a hurlé dans la salle du trône que j'étais inapte à régner et que l'Armée courrait à sa perte entre mes mains. Aucun de ses complices n'a survécu à l'attaque et le reste du bastion a été longuement interrogé. Wïane, qui se tenait à ma droite pendant le procès, a juré qu'elle ignorait tout de cette tentative d'assassinat avortée. Kaën a craché à ses pieds. Je les soupçonne tout de même d'avoir collaboré mais je n'ai aucune preuve et refuse de condamner Wïane sous le simple prétexte de son amitié avec le cerbère.


J'ai exilé Kaën.


Je l'ai déclaré traître à l'Empire, ai brûlé ses affaires et l'ai condamné à une éternité d'errance. L'armée a désormais ordre de l'abattre s'il remet un pied sur nos terres.


Il est parti en clamant que l'Histoire lui donnerait raison. Il est parti en m'appelant par ce nom que plus personne n'avait prononcé depuis des années, ce nom faux, ce nom mort, ce nom que j'ai rectifié. Il est parti en me traitant de monstre.


Il est parti.


Et je n'ai pas l'impression d'être resté.

Le Journal du RoiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant