12 - Poussière de marbre

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Mardi 12 décembre

04h05.

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Siànan a lu le carnet. Lorsque je suis remonté dans mes quartiers après la réunion, je l'ai trouvé assis sur mon lit, le journal sur les genoux, un plateau repas encore fumant abandonné sur mon bureau. Je ne l'avais pas rangé, hier soir, perdu dans ma douleur et mon chagrin. Mes lamentations me rendent imprudent. Il a dû le trouver ouvert sur le bois ciré. Ses doigts caressaient les boucles d'encre noire.


Il pleurait.
Je ne l'avais jamais vu pleurer.


Il a sursauté lorsque j'ai fermé la porte derrière moi. Je voulais le réprimander. Je voulais lui interdire de lire, de continuer, de plonger ainsi dans mon intimité. Je voulais hurler. Je voulais que la haine remplace la honte. Je crois que j'ai vécu une pleine minute persuadé que cette lecture serait notre rupture. Soudainement, je voulais me justifier. Inventer une fiction pour couvrir les marques de mon affreuse intériorité étalée sur ces pages de parchemin. Je voulais me terrer dans les excuses et ne plus jamais avoir à croiser son regard. Il allait partir. Cela serait la fin. Il ne pourrait pas rester, pas après avoir lu, pas après avoir vu qui j'étais. Ce que j'étais. Un monstre. Juste un de plus. Les mots ont refusé de sortir de ma bouche. Les larmes les ont remplacés. Je n'ai pas pu parler. Je me suis effondré.


Le carnet est tombé avec nous lorsqu'il s'est jeté sur moi. Il ne m'avait jamais enlacé comme ça. Il ne m'avait jamais serré aussi fort dans ses bras. Je sentais son cœur battre la chamade contre le mien. Mon monde se résumait au sien. Ses lèvres contre mon oreille murmuraient d'éternelles promesses d'amitié. Je sais que je peux en croire chaque mot, chaque syllabe, chaque phonème. Avec lui, je peux. Je peux car il est celui qui m'a appris le sens de la loyauté.


Je ne lui en veux pas d'avoir lu le carnet. Pas lui, jamais. Je crois que cela me soulage. Il sait.


Il a soigné mes poignets. Il a pris le temps d'inspecter chaque coupure, chaque entaille sur mes bras. Il sait. À présent, il sait. Il sait. Il sait et il est toujours là. C'est un miracle en soi. Je ne crois plus en ces dieux qui m'ont abandonné mais je crois en ce sacré, en ces prodiges qui naissent autour de Siànan. J'ignore ce que j'ai fait au monde pour mériter ses bras.


Son corps était chaud. Il sentait le pain et le feu. Si c'est cela, vivre, je ne veux plus mourir. Si vivre est côtoyer la chaleur de Siànan, je veux être éternel.


Il y avait des prières sur ses lèvres.


Des larmes dans ses yeux et une foi farouche qui m'a donné le vertige.


Depuis ses bras, je contemplais le monde et ses possibles. Depuis ses bras, je survolais le vide. J'aurais dû comprendre bien plus tôt que Siànan était mes ailes. Il me porte bien plus haut que ce que mon esprit ne peut imaginer. L'Hydre ne pourra jamais l'enchaîner. Ils ne pourront pas le faire chuter.


On peut les renverser, m'a-t-il juré.


On peut devenir les maîtres. Leurs règles dictent nos pas le jour mais la nuit nous appartient. Nos lèvres sont surveillées mais pas scellées.

Il y a une marge de manœuvre dans les chaînes, une clé à inventer.


Je peux régner.
Je peux vivre.


Avec lui, je peux y croire.


Avec lui, l'espoir n'est pas meurtrier. Avec lui, l'espoir n'est plus la nostalgie d'un passé évadé, l'espoir s'écrit au futur. Avec lui, l'espoir a un goût de flamme retrouvée.

Cette nuit-là, l'espoir est né pour ne jamais mourir.


Parce qu'avec Siànan, je peux me reconstruire.

Je peux tout reconstruire.

Un royaume. Mon royaume.


Je peux trouver la force de sourire à Wïane, trouver la force de lui faire croire qu'elle a encore un semblant de contrôle sur moi. Je peux la manipuler à mon tour. Je peux démantibuler le Conseil. Je peux le forcer à m'obéir, à m'écouter, à se plier à ma vision de l'Armée. Je peux me hisser sur le trône de pourpre et refuser de régner en tyran. Je peux régner en maître. Je peux régner en stratège, en confident, en bâtisseur. Je peux maîtriser le feu. Je peux trouver la force de panser mes plaies et celle de chasser le monstre. Je peux trouver la force de hurler si fort que mon cœur perdu saura me retrouver. Je peux devenir son phare, le faire revenir. Je peux le guider. Je ne peux plus voir son chemin mais je peux l'éclairer.

Je peux tout brûler.

Je vais tout brûler.


Je vais détruire les monuments gangrénés de l'Hydre, me débarrasser de ses vieux os et réduire en cendres ses lois putréfiées.


Je peux accepter de régner, pas de dominer.


Qu'ils disent adieu à leur marbre ambré. Le château va s'écrouler pour mieux s'élever. Qu'ils disent adieu à leurs dédales hantés, à leur hiérarchie sclérosée, à leurs privilèges et leurs conquêtes. Qu'ils disent adieu à l'Armée. Il est l'heure de faire éclore le royaume.


Le règne militaire de l'Hydre s'éteint avec moi.

Je veux un peuple, pas des soldats.


Je vais tout brûler.

Le monde change ce soir. Sa première brique est fixée à mon cœur.


Il est temps d'y croire.

L'Armée de feu et ses murs de marbre ne seront bientôt plus que poussière.


Je vais construire sur ses cendres un royaume de feu, un royaume de lumière.


Un royaume d'élémentaires.

Le Journal du RoiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant