23 - Je n'oublie rien !

96 25 39
                                    

╭-------╯♔╰-------╮

Samedi 23 décembre

00h00.

╰-------╮♔╭-------╯



Deux jours.

Dans deux jours, je serai roi.


Je n'ai pas pu reparler à Siànan. J'espère pouvoir le faire demain. Il est passé ce matin pour m'apporter la longue cape noire de l'Hydre. Il l'a lavée et préparée pour la cérémonie. Je sais qu'il a fait tout son possible pour essayer de dégager du tissu l'odeur de mort et de sang qu'elle traine dans son sillage. Ce vêtement a une histoire trop noire pour que l'eau et le savon puissent la nettoyer. Je l'ai regardé pendre cette chose au crochet derrière mon armoire. Wïane lui a ordonné de la laisser dans mes quartiers. Je ne peux plus prétendre que j'ignore ce qu'il va arriver. Je vais être couronné. C'est réel. Dans deux jours, cet attribut meurtrier reposera sur mes épaules. Les multiples têtes du serpent d'argent qui crachent de longues flammes dorées louvoieront dans mon dos. On attendra de moi que je sois digne des langues de feu de cet animal dévastateur. On attendra de moi que je sois le parfait menteur.


La Cour me somme de me préparer à la cérémonie et Zan m'a conseillé de me reposer un maximum tant que je le peux encore. Lorsqu'elle est passée ce matin avec ses aiguilles pour mon injection, son regard était résigné et attristé. Elle sait que je vais perdre une part de moi en devenant roi. Elle craint que la couronne fasse de moi un être que je ne suis pas. Wïane m'assomme déjà de futures missions à mener, de futures rencontres et futurs amendements à passer. Dans leurs esprits, je suis déjà roi.


Moi, j'entretiens ma peur dans le silence de mes quartiers où l'on m'encourage à demeurer.


J'aimerais tant que Siànan ne soit pas autant occupé à préparer cette satanée cérémonie. J'aimerais tant qu'il puisse être là, avec moi, pour m'empêcher de m'enliser dans la terreur.


Les livres qu'il me reste échouent lamentablement à me tenir occupé plus de quelques minutes.


Pour divertir mon esprit, j'établis des listes.


Je les trace sur des parchemins entiers, hors des pages sacrées de ce carnet. Je recopie les noms de tous ceux qui ont perdu la vie, la magie ou leur cœur sous les crocs de l'Hydre. Je m'arme des plus lourds volumes remontés des archives, j'épluche les condamnations, les actes de décès, les sentences, les rapports des sessions de prétendue justice de l'Hydre, ceux de ses missions. Je note les noms de tous les séditieux, de tous les traîtres, de tous les félons qui ont été jetés dans les dédales et ne sont jamais remontés. Je note tous les paysans qui sont morts de la peste il y a sept ans. La plupart du temps, ils ne sont qu'un nombre dans une marge. Je leur donne des noms à partir des oiseaux qui se posent sur le rebord de ma fenêtre. J'identifie leur souvenir, je me créé un royaume de moineaux et de rossignols. Si Siànan était là, il dirait que je ne peux pas être le roi des morts et que remuer ces cadavres ne m'apporte rien d'autre que le risque de les voir revenir me hanter. Il a toujours privilégié l'écoute des vivants, même lorsque nous étions enfants. Si je le comprends, je reste persuadé que parfois, les fantômes viennent nous guider plus que nous tourmenter.


J'ai déjà rempli dix-neuf parchemins rien qu'en recopiant les décès des dix dernières années.


Je n'oublie rien.

Je n'oublie personne.


J'ai écrit le nom de la fille de l'Hydre. Je ne sais pas si elle est vraiment légitime à figurer parmi les victimes. Peut-être barrerais-je son nom dans les heures à venir.


J'ai écrit le nom d'Aodh.

J'ai écrit le nom de Siànan.

Les quatre noms de ses parents.

Le nom de Maman.

J'ai aussi écrit ton nom, à côté du mien, tout à la fin.

Le Journal du RoiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant