10GABRIEL
OPHÉLIE M'A APPELÉ et j'ai décroché après avoir longuement hésité. En appel, je ne reconnais pas souvent la voix de ma grande sœur, comme si c'était une autre personne. Elle parle plus posément, avec un timbre plus grave et une nouvelle habitude d'allonger les fins de phrase. Il y a deux ans, je l'entendais encore crier dans toute la maison. Ce soir, quand je dîne avec papa, il n'y a plus aucun son.
— Alors... les cours ? demande-t-il en faisant un effort.
Les réunions parents-profs se déroulent au moment même où nous discutons, à quelques pâtés de maisons.
— Bien, t'as pas de souci à te faire, rassuré-je en trempant mon morceau de pain dans la soupe.
— Tant mieux.
Mon père regarde en silence son bol rempli et sa cuillère à soupe, comme fasciné par les deux objets. J'attends qu'il dise autre chose, mais rien ne vient, alors nous continuons à dîner.
— Elle est bonne la soupe, avoué-je en le voyant se reconcentrer intérieurement sur lui-même.
Ses yeux se lèvent un court un instant vers moi, et son sourire pâle me prouve qu'il aurait aimé entendre ça de quelqu'un d'autre.
— Tant mieux, j'ai changé de marque. Elle est moins chère.
Récemment, mon père a eu la motivation de sortir et cuisiner. C'est pas mal pour quelqu'un qui préfère passer la majeure partie de son temps à parier sur les courses de chevaux, affalé sur le canapé.
— Ophélie m'a appelé tout à l'heure, risqué-je en sachant très bien qu'il peut s'emporter en entendant ce nom.
— Ouais, je t'ai entendu rire de la cuisine. Ça pouvait qu'être ta sœur, remarque-t-il nostalgiquement.
Je lui souris tristement pour qu'il se rassure. Une goutte de confusion de trop et il renverse sa soupe sur lui en se levant.
— Elle va super bien. Elle va valider sa troisième année de licence cette année. C'est dingue.
— Ta mère doit être fière d'elle, marmonne-t-il mélancoliquement.
Il y a beaucoup d'amertume dans ce qu'il dit, comme si toutes les attentes et espoirs placés en elle sont morts depuis trop longtemps pour lui. Il vit à travers ceux de sa femme, parce qu'il a toujours appris à dépendre des autres plutôt que de lui-même.
— T'as revu maman ?
— Ouais, avant-hier. Tu devrais aller lui dire bonjour ce weekend.
— Sûrement.
La discussion s'interrompt là, sur le sujet qui coupe toujours l'appétit : ma mère. Quand il en parle, il perd de son éclat, et tous les efforts qu'il réunit dans le contrôle de sa voix et de son expression disparaissent en un claquement de doigts.
S'il a recommencé à cuisiner, c'est sûrement parce que maman a fait une remarque sur ce point. C'est toujours comme ça avec papa, il faut que ma mère le bouscule un peu pour qu'il essaie de se ressaisir.
Et le divorce va sûrement l'anéantir.
— Merci pour le dîner.
Dans la cuisine, j'ai essayé de chasser le chagrin qui arrachait à mon cœur toute contrôle. Il faut tenir, ne rien lâcher, le rassurer... parce qu'il tient encore debout. Et que si je deviens triste, il n'aura plus aucune raison d'être heureux, lui.
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NOS SMILES BRIDÉS
Teen Fiction- ̗̀ SOUS CONTRAT D'ÉDITION et PUBLIÉ aux éditions Hachette Lab ̖́- Le lycée est en effervescence. Depuis ce matin, on ne parle que de Saul, le nouveau. Il est blond, rayonnant, fascinant : impossible de ne pas l'apprécier. Son arrivée produit l'ef...