2 - Où l'on oublie son portefeuille

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« Personne ne vient ici sans une raison absolument pourrie. »

Le jour de ce qui entrerait dans les annales comme l'Affaire de la Glace à la Fraise, Tina Aveterco émergeait d'un week-end prolongé. Un week-end de monumentale cuite. Heureusement que ses amies lui avaient promis de ne pas la harceler de messages durant sa lune de miel, parce qu'elle n'aurait jamais pu expliquer la myriade de shots de tequila blanco qu'elle s'était enfilés en un laps de temps bien trop court pour sa petite corpulence. Mais comme Antonio Banderas le chante si bien : « aguardiente es lo mejor ». Surtout quand on vient de demander le divorce parce qu'on a trouvé son mari tout neuf dans le lit d'une prostituée. Mineure.

L'unique excuse que Maxim avait pu trouver était qu'ici, « elles sont très matures pour leur âge ». Tina avait répondu froidement que si ça pouvait lui donner bonne conscience, tant mieux, mais que profiter de la misère d'une gamine de quinze ans n'était en revanche pas un grand signe de maturité. La police française avait cueilli Maxim à son arrivée à Paris. Fils de banquier ou non, son ex-femme avait menacé le père de tout déballer sur Facebook, Instagram et Twitter, photos à l'appui, s'il ne se rendait pas aux autorités. Puis, elle avait décidé de fêter son divorce en ingurgitant assez d'alcool pour tuer un éléphant.

Lorsqu'elle avait émergé, nantie d'une migraine effroyable, de trois ulcères gastriques et d'une langue plus pâteuse que de la purée, elle avait pu profiter du programme « détox » du complexe détente et bien-être du Tropicana. Le masseur lui avait demandé si elle allait mieux, ce qui confirma Tina dans une conviction : elle n'était vraiment pas faite pour la boisson. Vêtue d'un paréo, elle s'était prudemment servie au buffet à volonté, à midi, et avait vu un grand type blond passer en courant, devant la réception. Un beau gosse, athlétique aux mâchoires carrées, le genre qui décroche le casting pour une série américaine policière. Aveterco avait failli se retenir de regarder les fesses du beau gosse – oui, parce qu'avec Maxim, elle ne s'était jamais permis d'admirer d'autres hommes, allez savoir pourquoi... –, avant de se souvenir qu'elle était désormais célibataire. Elle avait conclu que le bermuda hawaiien, finalement, pouvait convenir à certains hommes. C'est là que le portefeuille était tombé. Le type courait trop vite – il était immense – et Tina avait bien trop mal à la tête pour vouloir crier. Elle s'était levée et avait récupéré le portefeuille en cuir élimé. Le garçon de la réception lui avait lancé un clin d'œil et n'avait rien dit, Aveterco s'était proposé de garder l'objet pour le rendre à son propriétaire le plus tôt possible. D'ailleurs, malgré un nom bizarre, il avait des papiers français.

Tina était allée piquer une tête dans les flots émeraude de l'océan. Ça lui avait fait un bien fou. En retournant sur la plage, elle avait acheté une glace à un vendeur ambulant, en priant pour ne pas attraper la turista. Maxim aurait déjà été en train de la critiquer, par exemple sur le fait qu'acheter des glaces dans des pays non civilisés était dangereux pour la santé, ou sur le fait qu'elle risquait de prendre du poids – ce qui semblait scientifiquement impossible. Oui, Maxim était comme ça. La jeune femme ne voyait plus que les défauts de son ex-mari. Elle avait été particulièrement aveugle. En inventant une discussion imaginaire avec ce salopard, chose qu'elle adorait faire, elle avait avancé sur la longue langue de sable blanc, y enfonçant ses pieds nus et mouillés avec délices. Maxim n'était pas là pour dire qu'il fallait marcher vite pour rester en forme. Sous un palmier, elle avait repéré un beau mec aux abdos d'enfer. C'était lui, le type pressé qui perdait ses portefeuilles. Tina s'était dit qu'il avait l'air plutôt détendu pour un mec qui perd ses papiers, elle avait haussé les épaules et, une chose en entraînant une autre, elle s'était retrouvée sous l'eau, plaquée par le blond sur lequel elle avait malencontreusement renversé sa glace à la fraise.

— Restez au sol !

— Tu ne me tutoies plus ? Et je ne compte pas me noyer, lâche-moi !

— V... t'as pas entendu ?! Il y a eu un tir !

— N'importe quoi ! Espèce de cinglé !

— Quelqu'un a tiré, la balle a atterri à un mètre de toi !

— Si c'est une technique pour peloter les filles, tu tombes mal, parce que...

— Pour ce qu'il y a à peloter...

Le type avait ricané. Il avait ce demi-sourire narquois, insupportable. Il était peut-être sexy en diable, mais c'était l'homme le plus désagréable que Tina ait jamais rencontré.

— Personne n'a tiré ! Je n'ai rien entendu !

— T'as de la merde dans les oreilles, alors. Ça venait de là-bas.

Aveterco ne regarda même pas dans la direction que le blond désignait. C'était la partie sauvage du complexe. Il y avait des serpents, des mygales et certainement des alligators de cinq mètres – hors de question d'y mettre les pieds.

— Tu as bu.

— Moins que toi, ce week-end en tout cas, rétorqua le type en faisant face à la forêt d'où – soi-disant – un tir était parti.

Il s'était interposé entre Tina et l'origine supposée du tir. Elle le remarqua mais décida de ne pas tenir compte de cette attitude. Tous les hommes étaient des porcs. Point à la ligne. Même quand ils croyaient se mettre entre vous et une balle. Parfaitement.

— Je... comment ?

— Tu t'es mis une de ces mines, ma pauvre... On se serait cru dans Very Bad Trip.

— Ah, génial, je ne savais pas que ma vie t'intéressait à ce point !

— Tu déconnes ?! Tu as passé le week-end à te mettre minable ! Tout le monde t'a vu !

Tina serra les lèvres, furieuse. À dire vrai, elle ne se souvenait pas des événements du week-end.

— Espèce de...

Encore ce sourire goguenard... Aveterco se souvint qu'elle était en bikini, qu'elle faisait cinquante centimètres de moins que ce type et qu'elle n'avait jamais suivi le moindre cours de self-défense. Elle tourna les talons, furibonde, et s'éloigna. Le blond lança un sifflet moqueur auquel elle ne daigna pas répondre. Elle n'adresserait plus jamais la parole à ce connard fini.

Lorsqu'elle claqua la porte de son bungalow Suite Royale et qu'elle vit le portefeuille du connard fini sur son lit, la migraine la reprit. 

*

Merci aux quelques uns d'entre vous qui m'ont soutenue sur Fyctia ! J'y publierai le reste en avant-première, mais je pense publier chaque mois un chapitre ici ! 

Deux choses cependant : 

(1) La fic passe en adulte à cause de plusieurs scènes qui vont bientôt suivre (mais je préfère commencer dès maintenant...) ;-)

(2) Aucun ship et aucune intrigue n'est considéré "canon", c'est-à-dire que les couples ou les scénarios présentés ici n'auront rien à voir avec la série originale ^^

Bisous et à bientôt ! 

Sea

Le Suédois qui n'aimait pas l'étéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant