Épisode 1 ~ Je t'attends #2

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L'escadron d'oiseaux-tueurs s'éloigna, laissant derrière lui un nuage de fumée et de désolation. Paul, Matt, Elihu, Isaïa, Jérôme, Fatima et Mohammed sortirent de la cave où ils s'étaient réfugiés quand l'alerte avait résonné. La maison avait été rasée par l'explosion, et c'est à l'air libre qu'ils débouchèrent, crachant et toussant à pleins poumons. Dans l'atmosphère remplie de poussière suspendue, le temps semblait arrêté. Abasourdis, sonnés, hébétés, ils contemplèrent le carnage autour d'eux. Le lieu était méconnaissable : ce qui était quelques minutes auparavant une jolie résidence pavillonnaire avec de charmants jardins n'était plus qu'un cratère de décombres encore fumants. L'ombre de la mort était passée et avait apposé sur eux son empreinte glacée. Où que se posât l'œil, il n'y avait que souffrance et agonie. Des cadavres démembrés ou calcinés, des ruines, des blessés hurlant à l'agonie, des flammes, du sang... La mort, encore et toujours la mort.

« Ma maison... » gémit Isaïa.

Depuis l'arrestation et l'exécution de ses parents, cette maison était tout ce qui lui restait d'eux ; la dernière trace de leur passage sur Terre venait de voler en éclats. Fatima vint serrer sa jeune amie contre elle sans rien dire. Elle savait d'expérience que lorsqu'aucun mot ne suffisait à atténuer la douleur, le silence valait mieux que tous les discours.

« Hum, Isi... » commença Mohammed.

Fatima lui jeta aussitôt un regard d'avertissement signifiant clairement : ''Si ce que tu as à dire n'est pas pertinent, ferme-la !'' Elle savait que son petit frère avait de bonnes intentions, mais il n'était pas spécialement doué pour les mots doux... Pour les mots en général, en fait.

« C'est pas grand-chose mais... »

Sans finir sa phrase, il lui tendit un sac poubelle avec un brin de brusquerie. Isaïa l'attrapa prudemment et l'ouvrit.

« C'est un peu abîmé, désolé... » balbutia Mohammed.

Tous les bibelots et photos de famille qui décoraient le salon et la salle à manger de la maison d'Isaïa étaient entassés à l'intérieur. Dans son dos, Fatima jeta un coup d'œil intrigué dans le sac et leva le pouce en direction de son frère : ''OK, bien joué !''

Émue, Isaïa se jeta dans les bras de son petit ami.

« Ton frère fait des trucs bien, quand il veut ! rigola Matt en s'appuyant nonchalamment sur l'épaule de Fatima.

— Il faut croire que ça dépend de ce qui le motive.

— Allez, c'est bon, on finit de se bouffer la bouche et on se remet en route ! marmonna Jérôme.

— Ben alors Jérôme ? On fait une petite crise de jalousie ? se moqua Matt.

— En voyant deux gosses se baver sur la gueule ? Ben ouais, tout à fait.

— Justement, ce sont des enfants, laisse-les un peu, rétorqua Fatima. On faisait pareil à quinze ans.

— Moi non ! s'agaça Jérôme. J'aurais jamais pensé à tripoter ma copine après un bombardement », grommela le doyen de trente-cinq ans.

Sa remarque jeta aussitôt un froid. Depuis le début de la guerre civile, les petits bonheurs étaient si rares qu'ils s'étaient engouffrés dans la bulle d'amour que Mohammed et Isaïa avaient formée autour d'eux. Mais la bulle venait d'éclater, et la mort, charognard tapi dans l'ombre prêt à se repaître de leurs dépouilles, les attendait toujours. Comme s'ils sortaient d'un rêve, ils entendaient à nouveau les pleurs et les cris, ils voyaient à nouveau le sang et les flammes.

« Il n'a pas tort, grogna Paul, nous sommes à découvert maintenant. Allez, les amoureux ! s'exclama-t-il en s'adressant au couple resté à l'arrière. On doit rejoindre la VF du treizième avant midi. »

Il se mit aussitôt en route, sachant que le groupe suivrait. C'était toujours ainsi : il parlait, et les gens obéissaient, sans qu'il sache vraiment pourquoi. Il enjambait péniblement les ruines, tentant d'ignorer les appels des blessés. ''Il faut les aider !'' Paul chassa aussitôt cette pensée : il y avait plus urgent ! Penser ainsi lui était pénible, mais c'était exact. Ils avaient tous un rôle à jouer, se charger de ce genre de détails n'était pas de leur ressort. D'ailleurs les secours se mettaient déjà en place. La Résistance fonctionnait comme ça : Paul et ses six ''généraux'' ne s'occupaient pas de questions bassement triviales comme la nourriture ou l'aide médicale. Ils devaient se consacrer à la lutte contre les Christo-Nazis et à leur soi-disant parti politique, le PUFP : le Parti pour l'Unification Française Patriarcale. Sous ce nom plein de promesses se cachait une doctrine faite de haine raciale, de christianisme extrémiste, d'intolérance religieuse et de violence. Créé bien des années auparavant, ce parti était soudainement devenu populaire il y a trois ans. Se faisant la voix de ceux qui ne voulaient pas se laisser gagner par xénophobie, Paul, alors étudiant était lui aussi devenu célèbre. Mais tout avait changé le soir du 31 décembre 2026 : lors d'un coup d'état d'une rare férocité, le PUFP s'était emparé du pouvoir et instaurait depuis lors une brutale dictature.

Paul était naturellement devenu le chef de la Résistance, et il s'acharnait corps et âme pour mettre fin la guerre civile. Néanmoins, Noël approchait... Demain, le 22 décembre 2027, elle le rejoindrait. Tout devait être prêt !

« Chaque groupe partira de nuit, ordonna le jeune homme. Chacun sait ce qu'il a à faire ? Jérôme ?

— Je dois amener les Pakistanais à participer à notre super projet absolument pas suicidaire de bousiller le temple christo-nazi de Fontainebleau, maugréa celui-ci.

— Ce n'est pas la mission la plus difficile, rétorqua Matt. Après tout ce que l'AUFP a lâché sur eux ces derniers jours, tu trouveras bien cinq ou six fous pour t'accompagner. »

L'Armée Unificatrice Française Patriarcale, dont les soldats se faisaient pompeusement appeler les Unificateurs de la Patrie...

« Isi, Eli ?

— Nous devons contacter le chef des Résistants de la VF de Créteil et transmettre les ordres de sabotage du RER D ! » récita Isaïa.

Ils y allaient également pour retrouver le père d'Elihu. Le bruit courait qu'une poignée de Juifs s'étaient réfugiés dans la Ville-Forteresse de Créteil : peut-être était-il parmi eux ?

« Fatima, Momo ? appela Paul.

— On se rend au camp secret de musulmans du sud de Paris... »

Le trajet serait particulièrement dangereux pour ces quatre-là. Depuis la proclamation de la religion d'État, celles qui différaient, ne serait-ce que d'un iota, étaient illégales et pratiquer sa foi était désormais passible d'exécution. Les Unificateurs étaient chargés d'éradiquer ces dissidents.

« ...et on s'assure de leur coopération pour la destruction des lignes de métro, continua Fatima.

— Le but est de faire croire aux Christo-Nazis que c'est une diversion pour ton soi-disant assaut sur l'ancienne ambassade ivoirienne pour libérer les otages, murmura timidement Mohammed de sa voix grave.

— Un assaut qui aura vraiment lieu, rajouta Matt. Sauf que c'est moi qui le dirigerai. Et c'est ça, la véritable ruse : faire croire que tu es ici alors que tu es loin d'ici. »

La légende de la disparition de Noël de Paul Germain était connue, mais personne n'en savait la raison. Et aucun membre du groupe n'osa poser la question. Seul Matt était au courant de tout.

« Dès demain, tu seras dans les bras de ta jolie rousse, murmura Matt en bousculant son meilleur ami. »

Oubliant un instant la guerre, Paul riait pour la première fois depuis des mois. Il leva les yeux vers les étoiles avec espoir.

« Je t'attends... »

*

Merry Christmas, MaryOù les histoires vivent. Découvrez maintenant