Mon coeur battait. Ses pulsations régulières rythmaient le bruit de mes pas à la fois pressés et nonchalants. Je me sentais obligé de paraître raisonnable, de sembler imperturbable, mais l'excitation avait empli mon corps jusque dans le plus léger des tremblements. Une maison se dressait face à moi, un grand manoir sombre, fait de bois craquant et de briques. J'étais frigorifié, la pluie battante avait eu raison du parapluie qui me servait de bouclier, et j'étais trempé, l'eau semblait transpercer chacun de mes membres. Flip, Flop, les semelles de mes chaussures tanguait en avant puis en arrière, l'eau y grimpait avant de retomber au sol, comme une vague. La main vibrait sur la grande porte en hêtre, de manière hésitante, provoquant ainsi un bruit duquel ne sortait aucune harmonie. J'attendis quelques instants, quand la porte s'ouvrit enfin.
« C'est toi, Thomas ? Entre, tu vas prendre froid ! C'était Madame Christ qui m'accueillait, une main tendue vers moi que je saisis, tout en répondant timidement
- Merci Madame. Je fis un pas en avant, un simple pas, je me trouvais à présent dans l'entrebâillement de la porte, à l'abri des sanglots glaciaux du ciel. De l'intérieur, la demeure était vraiment belle, le parfum des doux brasiers de l'âtre me parvenait, et tandis que je me berçais du crépitement de la cheminée, mes yeux se posèrent sur le grand escalier qui ornait la pièce principale, tout de bois. C'était la troisième fois que je venais ici, j'étais toujours aussi impressionné par le style rustique du foyer, c'était si apaisant ...
- Eve est en haut, repris la jeune femme un sourire aux lèvres, elle t'attends. »
Jusqu'à là, je n'avais pas osé faire un pas de plus, j'étais figé comme la statue qui semblait garder le colimaçon, une force étrange semblait ébranler mes jambes prêtes à chavirer, mais face au regard insistant de celle qui me fixait, je me mis à monter l'escalier, mon cœur battant la chamade et mon ventre traversé par des sortes de décharges électriques. Première à gauche, j'ouvris la première porte à gauche ; elle était là, assise sur son lit, son chat entre ses bras à écouter de la musique sur son téléphone. Je fis un pas en sa direction, elle leva la tête et me remarqua enfin.
« Salut toi ! Me fit-elle en posant ses écouteurs et son chat sur le lit. Comment tu vas ? Qu'est-ce qu'elle était belle ! Qu'elle était belle avec ses cheveux semblables à de la laine de verre, qui descendaient sur son visage dans une forêt blonde. Qu'elle était belle avec ses traits aussi doux que ses murmures, ses joues si rondes, son regard fatigué, ses yeux verts esquintés. Qu'elle était belle le sourire aux lèvres, son nez si fin. Elle s'approchait de moi, et vint prendre mon visage entre ses mains pour déposer sur mes lèvres un baiser léger ; si léger qu'il s'envola aussitôt ses lèvres se libéraient des miennes.
- Tu m'as un peu manqué, lui soufflais-je
- Ça va, dit-elle en un éclat de rire , ça fait trois jours qu'on ne s'est pas vu, on a fait pire ! Bon, raconte-moi tout, t'as fait quoi pendant tes vacances ?
- Pas grand-chose lui répondis-je, j'ai même pas commencé mes devoirs.
- En vrai, moi non plus ... Bon allez, tes affaires sont prêtes ? On aura le temps de tout se raconter pendant le voyage ! »
C'était là le but de ma visite, nous allions partir tous les deux à Europapark. Ses parents devaient aller en Allemagne pour mener des recherches (ils étaient scientifique, enfin je n'ai pas tout compris) et ils ont accepté de profiter de cela pour nous emmener dans le parc d'attraction, rien que nous deux, en amoureux. Le plus dur, ça a encore été de convaincre mes parents ; ils sont assez fermés à ce genre de relations que je peux entretenir avec une fille, et Eve, elle est assez spéciale (ou en tout cas trop pour eux).
Durant le voyage, nous dormions l'un sur l'autre, Eve et moi. Nous étions assis l'un à côté de l'autre à l'arrière de la voiture et le voyage était plutôt long, alors nous comptions nos doigts, nous inventions des gens tous plus étranges les un les autres, nous parlions de tout et de rien ; littéralement de rien puisqu'on s'interrogeait sur le néant, nous chantions les classiques de la radio, les années 80 n'avaient plus de secret pour nous (même si avec elle, nous sommes partis de loin), et enfin, nous observions les paysages. Le nez collé à la vitre, elle pouvait passer plusieurs heures à regarder la végétation précéder la civilisation et la civilisation succéder à la végétation, la neige à peine fondue s'entasser sur la chaussée, les arbres recouverts de givre et les villages d'Alsace nous faire découvrir leur architecture traditionnelle. Parfois, elle me prenait dans ses bras, d'autres fois c'était l'inverse, mais pendant une éternité, le silence semblait s'imposer en maître, si l'on oublie les quelques questions de ses parents qui rythmaient le trajet sans pour autant lui offrir quelque chose de mélodieux. Le temps passa, quand enfin, elle se décida à rompre le calme apparent qu'elle s'était tuée à instaurer depuis tout à l'heure :
« T'es déjà allé à Europapark ?
- Non, jamais lui répondis-je, mais je suis déjà allé à Disneyland. C'est bien, mais il y a beaucoup de queue.
- C'est quoi déjà Disneyland ? Me demanda-t-elle les yeux dans les yeux.
- C'est un parc sur le thème de Disney.
- Ah oui, me répondit-elle tout en s'étirant. »
A son regard, je compris qu'elle n'était pas réellement convaincue par mes explications. Je ne pourrais réellement lui donner tord en y repensant. Je la vis pianoter sur son téléphone, rechercher « Disneyland » sur internet. Remarquant ma présence par dessus son épaule, elle sourit légèrement, s'exclamant à la vue des suggestions google :
« Mais non, je ne veux pas Die Glöke mais Disneyland !
- Bon, Eve, on va arrêter le téléphone, la coupa sa mère, on n'est pas là non plus pour ça, tu ne crois pas ?
- Oui maman ! S'excusa-t-elle en rangeant son portable dans sa poche, elle tourna sa tête en ma direction et saisit la question silencieuse que je lui posait : « Pourquoi ? ». Elle me répondit d'un haussement de la tête, avant de prendre ses mains dans les miennes.
- C'est tout ce que tu as à raconter ? S'étonna-t-elle.
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Cycle 8
SpiritualDes voyages dans le temps, des virus, des machines et des singularités. L'avenir semble si compromis, et pourtant, l'idéalisme seul suffirait à tout changer !