V : Ses pleurs

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Une fois que j'eus fini ma réserve de neige, je vins le rejoindre, assailli par les tirs ennemis. Eve me hissa du haut de son promontoire blanc à la force de ses bras, je levai les yeux, et je vis les siens, éclatant d'une beauté sans pareille, si lumineux qu'ils semblaient percer la neige par leur clarté. Elle semblait si ... Heureuse. La voir ainsi courba mes lèvres.

« Pourquoi tu souries ? Me demanda-t-elle étonnée.

- Parce que tu souris toi.

- C'est la neige, c'est beau, hein ? De là où je viens, il n'y en a pas, expliqua-t-elle alors.

- Ah bon ? »

J'étais un peu étonné, elle ne m'avait jamais dit ses origines. Pourtant, en faisant plus attention, on pouvait comprendre cela au vu des teintes dorées que sa peau arborait. Tout en enlevant la neige qui recouvrait mes habits, je lui demandai :

« Tu viens d'où d'ailleurs ?

- De judée. Enfin, d'israël, se rattrapa-t-elle tout de suite.

- Ah ok, une boule de neige lui arriva en pleine tête alors qu'elle avait baissé sa garde pour me parler.

- On défonce ? Ses poings s'étaient serrés.

- Allez. »

Nos péripéties durèrent ainsi jusqu'à ce que nous soyons fatigués, trempés et frigorifiés. Alors un cessez-le-feu fut négocié entre les deux armées. Les conditions ne nous désignaient ni comme vainqueur, ni comme perdants, simplement comme ce qu'on était et qu'ils étaient : exténués. L'après-midi était plutôt bien entamée, mais pourtant, Eve m'invita chez-elle pour une séance cinéma. Je n'ai pas vraiment hésité, et après avoir ramené Paul (tout en subissant le courroux de maman pour m'être rendu malade), je repartis chez elle, qui m'attendait déjà. Assise sur son lit, son chat dans les bras, elle me fit signe de me mettre à côté d'elle, comme à son habitude. Elle déposa Shogun au sol, avant de mettre son ordinateur sur ses genoux, me demandant :

« Bon, tu veux regarder quoi ?

- Je sais pas, t'as quoi à me proposer ? »

Elle me montra d'un geste de main la pile de DVD éparpillés un peu partout sur ses draps. Après plusieurs minutes de réflexion pressés par ses « bon, on va pouvoir le regarder ce film ? », je finis enfin par décider de prendre retour vers le futur ; un classique parait-il. Je dois avouer que nous nétions pas réellement attentifs au film, entre deux étreintes ou blagues, nous jetions tout au plus un regard à l'écran, histoire de suivre un peu ce qu'il se passait quand même. En réalité l'histoire n'était pas vraiment compliquée à comprendre, une simple question de voyages dans le temps, mais il faut avouer que ça laisse place à la réflexion. Au moment où ce fut fini, elle se tourna vers moi.

« Alors ?

- Mouais ...

- Ca ne t'a pas plus ? Elle fit une moue déçue.

- Si, c'était plutôt bien, essayais-je d'expliquer, mais c'est étrange. Ca ne tient pas vraiment debout cette histoire de voyage dans le temps.

- Ah bon ? Elle riait de bon coeur.

- Hé, pourquoi tu ris ?

- Rien, rien ... Comment ça, ça ne tient pas debout ? me questionna-t-elle.

- Déjà, si tu omets le fait que ça ne soit physiquement pas possible de voyager dans le temps

- C'est de la fiction, me coupa-t-elle.

- Oui, c'est pour ça ... Enfin bon, si l'on pouvait voyager dans le temps, les règles seraient différentes. Je ne sais pas trop comment ça se passerait, mais tu imagines si à chaque fois que quelqu'un faisait une action, l'univers changerait totalement ? Tout serait absolument instable, et puis comment seraient gérés les paradoxes ? Par exemple, si tu tues ton père dans le passé, il ne peut pas t'enfanter, et alors, tu ne peux pas le tuer. Comment cela se passerait ?

- En fait, c'est plus comme si en remontant le temps, tu créais un univers parallèle, tu vois ? Toi, tu restes coincé dans cet univers parallèle, mais ce n'est pas pour autant que le vrai n'existe plus, tu ne discutes pas vraiment avec ton père, ainsi le père qui t'a enfanté dans ta réalité mais une autre version de ton père que tu tues, tu n'as donc aucun problème. C'est la la grosse incohérence du film, dans la réalité, l'histoire de tes parents dans cette réalité ne changerait en rien ton histoire à toi, vous ne vivez pas sur le même plan. Tu comprends ?

- Je crois, oui ... Dis-je en faisant appel à toutes mes capacités de réflexion. Mais dans ce cas là, il existerait une infinité d'univers parallèles correspondant à tous les embranchements

de tout l'univers, c'est juste inimaginable ! Tu t'imagines un univers parallèle rien qu'en fonction de si hier tu t'es lavé ou non les dents ? C'est incroyable.

- C'est en effet le cas, dit-elle. Je pense d'ailleurs que ton imagination ne vient pas de n'importe où, comme si c'était juste la faculté de pouvoir découvrir des portions d'autres univers, comme ça. Enfin bon, tu vois tes poumons ? La trachée s'y coupe en deux bronches un peu moins larges, qui ont a leur tour plusieurs embranchements plus fins, qui à leur tour découvrent une descendance, et caetera. Cette longue arborescence est ce qu'on appelle une fractale (d'après les scientifiques c'est une dimension à elle seule). Imagine que le monde, c'est un poumon, mais où les embranchements sont infinis. C'est comme ça que les différentes réalités pourraient être visualisées. La trachée, c'est en quelque sorte le monde originel, le vrai, et les petites alvéoles les moindres embranchements. Tu comprends ?

- Cela voudrait alors dire que l'univers est infini jusque dans ses manières d'exister, demandais-je ? Mais comment peux-tu être aussi sûre de tout ça, c'est quand même quelque chose d'incroyable que tu avances, si c'était vrai, ça révolutionnerait la science !

- Ca, c'est un mystère. Elle m'adressa un clin d'œil. J'y réfléchis parfois, c'est tout. Après, je pense qu'il vaut mieux que ça ne se connaisse pas. Tu imagines si le dogme officiel de la science était celui-ci ? Tu comprends, s'imaginer n'être qu'une copie d'une copie d'une copie d'un monde originel, ça risque de rendre fou ceux qui sont assez intelligents pour s'imaginer de manière concrète cela. Ils risquent de perdre toute notion du réel, être là, à simplement s'interroger sur quel monde est l'originel. Y'en a-t-il seulement un ?

- C'est là la faiblesse des forts esprits. Bon, je dois avouer que j'étais plutôt fier de cette phrase.

- Ça me fait penser à ce philosophe qui est mort d'insomnie face au paradoxe du menteur, ou à la femme dans Inception, qui, persuadée qu'elle n'était que dans un rêve, et qu'il fallait y mourir pour se réveiller, se donna la mort pour retrouver le réel. Le rationnel et la folie sont parfois cruellement liés. »

Je voyais dans son regard quelque chose qui venait de s'éteindre. Une corde brisée aux doigts du guitariste. Une mélancolie peut-être ressentie dans sa phrase suivante :

« Tu as déjà vu Inception ? Si tu veux on le regardera ensemble un jour. »

Elle me prit dans ses bras, et ferma les yeux comme pour mieux m'embrasser. L'instant d'après, tout allait mieux, elle semblait avoir retrouvé sa force et sa joie de vivre d'avant. En un mois passés imbriquées dans les siennes, jamais mes lèvres ne l'avait sentie aussi tremblante, je ne comprenais pas ce qui lui avait provoqué cet instant de blues.

« Ca va ? Lui demandais-je. 

Cycle 8Where stories live. Discover now