- Ca va, elle me sourit. Des fois, elle avait ainsi des moments d'absence. Elle reprit :Bon, on fait quoi ?
- On reste comme ça, et on profite de notre journée sans rien faire.
- Ca me va, dit-elle entre deux bâillements. »
Quand je repartis chez moi, le soleil fauvait déjà se coucher, je n'avais pas réellement vu le temps passer. J'étais revenu chez moi heureux et reposé, et mes yeux arboraient les couleurs du drapeau de la nonchalance. C'est sous les reproches de mon père que je montai dans ma chambre, fatigué de ne rien avoir fait ; histoire de me reprendre un peu en main, j'y ai fait quelques devoirs, quelques simples exercices qui me servaient de piqûre de rappel, avant d'être appelé à m'attabler. Posant mon stylo, n'eus même pas la détermination de finir la ligne que j'étais en train d'écrire.
Le lendemain, dès les premières heures, comme à mon habitude, je pris mon téléphone pour lui envoyer un message. Je voulais m'organiser pour le rendez-vous de la journée en quelques sortes. J'attendis quelques minutes, mais elle ne semblait pas décidée à me répondre. Je passais mon temps à rallumer mon téléphone qui s'était mis en veille entre temps, mais je ne recevais aucune réponse. Il était peut-être encore un peu tôt pour qu'elle soit levée. Je me mis donc en quête d'autre chose, de quoi m'occuper le temps de son réveil, mais rien. J'étais beaucoup trop pressé de la voir, je n'arrivais pas à me concentrer sur autre chose. La pauvre ligne sur laquelle je m'étais arrêtée dans mes devoirs la veille ne semblait pas vouloir que je la complète, le grand soleil semblait m'inviter à sortir pour me promener, mais je n'avais pas vraiment envie ; en tout cas je ne voulais pas y aller tout seul. Je me mis donc à nouveau en attente d'une réponse, mais celle-ci ne vint toujours pas. Dans le lit d'à côté, mon frère dormait ; dans la chambre d'en face, c'étaient mes parents qui s'y reposaient. Il était huit heures. Décidé à ne pas passer ma journée au lit, je me levai, et, sur la plante des pieds, descendis les escalier craquants. Une fois mes basket enfilées, je sortis faire mon jogging dans les rues de la ville. Le matin, le monde est si beau. Tout est si gris, la rosée semble m'embrumer le cerveau. Tout est si calme, mes pas semblent être les seuls bruits de la rue. Tout est si absent. Je m'y sens seul, mais bien ; c'est ça le matin. Quelques voitures dont le phare éclaire leurs pieds ; quelques femmes dont les fards assombrissent le visage. Rien de plus. Mon mp3 me crachant quelques musiques classiques, je respirais l'air frais et nouveau que le matin m'avait apporté. Grisé par le goût de la liberté, je traversai déjà au dernier passage de la ville, en direction d'ailleurs.
Après une bonne heure de promenade en forêt, fort de mon escapade matinale, je revins en ville, rafraîchi, l'air de rien, comme si je ne l'avais jamais respirée. La vie semblait émerger entre les ruelles étroites et les boulevards ; des entrailles de la ville se levaient des hommes qui allaient et des femmes qui venaient, une baguette à la main ou chevauchant un vélo. Je me sentais bien. Si bien que j'avais envie d'entrer dans la première boutique venue, simplement pour saluer les commerçants, y sentir l'odeur du bois chaud, se dégeler les mains avant de sortir à nouveau dans le froid en quelques sortes. Et puis pourquoi pas ? Il ne me fallut que quelques secondes avant de me décider enfin. Le premier bâtiment était vêtu d'une enseigne où étaient inscrits en grosses lettres ces quelques mots : « Boulangerie-Pâtisserie Leopold ; toujours ouverte sauf le dimanche ». Alors que la sonnerie de la porte coulissante m'accueillit, je repensais à la fois où Eve et moi y étions entrés. Ce jour là, on s'apprêtait à partir à vélo, histoire d'échapper au monde. On était passés ici, elle nous avait payé un sachet rempli de viennoiseries ; des croissants et des pains au chocolat qui nous avaient régalé tout au long de notre divine épopée. Je revins au présent un instant, le temps de saluer les personnes occupant le lieu, avant de retourner dans mes songes. J'avais envie de rester ici, mais d'un autre côté, je voulais aller voir Eve ; elle devait être levée à cette heure-ci. Mon âme semblait écartelée entre deux choix inséparables, je me sentais si bien ici ... Je m'y sentirais mieux avec elle. Pourtant, je ne voulais pas repartir aussi vite que j'étais venu, ça paraîtrait malpoli ... Y rester sans rien acheter le serait aussi. D'un pas soutenu, je pris les chemins de traverse de ma vile, me faufilant au fil de mes pérégrinations dans les couloirs de maison qui semblait m'étreindre de leurs façades défraîchies. Après plusieurs longues minutes de marche, j'arrivai enfin en face du manoir, ce grand manoir si imposant et accueillant à la fois, cet édifice édifiant. Ses fenêtres semblaient rivées sur moi, il me regardait de haut. Comme je le comprenais, lui, si majestueux, devoir abriter ma petite personne. J'avançai encore un peu dans le jardin nivelé par quelques dalles de marbre, entouré par un parterre de fleur. Je frappai à la porte. Rien. Tout semblait mort, tout semblait morne. J'attendis, je n'entendis pas les quelques mélodies habituelles émaner du balcon d'Eve, je n'entendis pas le pas lent de ses parents partis m'ouvrir. Je n'entendais rien de tout cela. J'attendis, durant plusieurs minutes, mon regard se porta tout autour de moi, observant les géraniums ici et les statues là-bas. Je frappai une seconde fois à la porte, puis une troisième. C'est alors que mon regard se posa sur ce que je n'avais pas vu jusqu'ici ; ou plutôt ce que je n'avais pas voulu voir, ce que je n'avais pas voulu croire. Un grand panneau jaune recouvrait une partie de la façade. Il était écrit « à vendre ».
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Cycle 8
SpiritualDes voyages dans le temps, des virus, des machines et des singularités. L'avenir semble si compromis, et pourtant, l'idéalisme seul suffirait à tout changer !