II : Une journée inoubliable

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Après environ une heure, nous étions enfin arrivés à Europapark. La musique enchanteresse et les cris nous accueillaient. Eve descendit de la voiture et je la suivis, tout en m'étirant pour soulager mes muscles engourdis. Il était vraiment temps qu'on arrive, j'avais l'impression d'avoir passé ma vie assis. A côté de nous passait le silverstar et ses frottements sur le rail de l'indifférence d'Eve, déjà obnubilée par la grande roue qui grandissait au loin. « Bon, je reviens vous chercher à 18 heures les enfants, amusez-vous bien ». Une voix résonnait ; celle du père d'Eve pourtant très silencieux. Il nous embrassa tous les deux, et monta dans la voiture rejoindre sa femme. Après un démarrage laborieux, ils s'en allèrent, s'enfonçant toujours plus loin dans les entrailles des forêts allemandes. Quand j'eus fini de les voir au loin, je pris Eve dans mes bras, ces moments là m'étaient si précieux. Elle semblait danser, alors que mon nez s'emboîta entre ses lèvres et le sien. Je fermai les yeux, j'aurais bien aimé que le temps s'arrête ; là, maintenant, pour toujours. J'aurais aimé devenir une statue, mais serait-elle restée de marbre face à tout ça, si j'étais une statue ? Même mes pensées semblaient ralentir dans ma boite crânienne ; je voulais juste profiter en fait. Après quelques siècles qu'elle écrasa en un instant lorsqu'elle décrocha son visage du mien, elle courut pour acheter nos tickets. A mi-chemin, elle se retourna et m'adressa un « hé, tu viens ? » tandis que je prenais mon temps.

Tandis que la caissière essayant de faire marcher le portique, nous avions visiblement un peu de temps devant nous. Eve en profita pour me faire rire, rien de bien méchant (contrairement à ce qu'avait l'air de penser l'employée) ; elle me chuchota juste à l'oreille quelque chose comme « putain de robots ». Elle avait le sourire aux lèvres de quelqu'un qui est fier de sa blague. Il faut dire qu'elle est allée jusqu'au bout avec son délire sur les robots. Lorsque la machine décida enfin que son heure de fonctionner était venu, nous purent passer. L'aimable dame qui s'était énervé en allemand contre la chose nous distribua nos tickets : celui du park, et celui du voletarium. De ce que j'ai compris, c'était une sorte d'expo sur Leonard de Vinci. Enfin, le temps que je mette ça dans ma poche, j'avais déjà perdu Eve de vue. Je la cherchai du regard, quand enfin, l'aperçus un peu plus loin ; elle observait avec intérêt les décors et les fausses façades des maisons semblables à celles que nous avions observé lors du trajet.

« Attends-moi ! Grognais-je

- T'avais qu'à me suivre. Bon, on commence par quoi ?

- Comme tu veux.

- Viens, s'exclama-t-elle soudainement, on fait le train fantôme ! Allez !

- Euuh ...

- T'inquiètes, ça va le faire. En plus, tu es un grand garçon maintenant, plaisanta-t-elle un sourire narquois aux lèvres. »

Aussitôt, elle me prit par la main, et se faufila dans la file, se frayant un chemin entre deux groupes. Le temps d'attente était plutôt long, mais les tableaux et les animatroniques animaient la queue. Parfois, il m'arrivait de sursauter en voyant certains éléments du décor prendre vie. Je dois avouer que je n'étais pas serein, et Eve semblait le comprendre ; elle me sonda du regard, me prit les mains et me demanda si ça allait. Je n'aimais pas trop quand elle s'occupait comme ça de moi, j'avais l'impression d'être un animal malade dont elle s'occuperait, ou quelque chose comme ça. Je crois que je suis un peu peureux sur les bords, ou en tout cas, mais j'ai quand même continué ; la curiosité était plus forte que tout. Au bout d'un petit moment de discussion, ce fut enfin à nous de monter dans le manège, côté à côte. Au final, ça n'était pas si horrible que ça, et, à part ce mal-être qui s'était peu à peu estompé au fil du temps et quelques sueurs froides, j'ai même plutôt apprécié le spectacle. Eve, quand à elle, paraissait totalement sereine, comme si elle ne connaissait nullement la peur. Elle demeurait imperturbable, mais semblait quand même profiter du spectacle. Très rapidement, le train s'arrêta, et il fut l'heure de descendre. D'un bond, elle se retrouva sur la plateforme, et m'y attendit quelques instants.

« Bon, me demanda-t-elle, c'était comment ?

- Ça allait en fait.

- Je te l'avais dit ... Son regard se posa sur l'imposante montagne russe qui semblait recouper par mille fois le parc. Faudra qu'on se le fasse, se réjouit-elle.

- Sinon, tu veux pas qu'on se fasse quelque chose de plus ... Posé ?

- Mouais ... Si tu veux. »

Et c'est ainsi que se déroula une journée vraiment incroyable passée entre les bras de quelqu'un tout aussi formidable. Des décors du parc, je découvris l'europe, de ses manèges, de nouvelles sensations. Très souvent, Eve se glissait dans les files d'attraction qui me paraissaient beaucoup trop effrayantes. Alors, après lui donner rendez-vous, je m'éloignai pour vivre ma vie de mon côté. Elle s'agrippait à mon épaule « Regarde moi au moins », et toujours, je lui répondais « Tu crois vraiment que j'ai envie de te voir t'amuser sans moi ? ». Invariablement elle répondait « Très juste. Du coup, tu viens avec moi ». Durant toute une journée, nous n'étions que des enfants parcourant le monde en quelques pas. Durant toute une journée, nous n'étions que nous deux, nous, et les habitants imaginaire des villages imaginaires. Durant toute une journée, nous oscillions entre des longs moments à s'enlacer sur les bancs et des intenses instants de manèges. Pourtant, la journée est passée si vite ... Le soleil piquait déjà du nez lorsqu'Eve me tira le bras.

« On va être en retard au voletarium !

- C'est quoi ?

- Tu verras ! Elle me fit un clin d'œil, pour être honnête, je crois qu'elle même ne savait pas. »

Ca n'était rien d'autre que l'apogée de cet instant magique perdu dans l'immensité de l'univers. Un moment d'humilité, un instant de flottement ; je me sentais décoller, je me sentais voler. Des étoiles dans les yeux, je transperçais les nuages, ces sensations dans mon ventre. Je perdais mes repères, j'avais réellement l'impression de voler. C'était si ... Beau. L'odeur de sapin de Tyrol, l'humidité de Bavière, celle si naturelle et familière de la France. Pendant un instant. Un instant seulement. En 15 ans, jamais le monde ne m'avait paru si beau qu'en cet instant. Tout me semblait si insignifiant, je trouvais ça mieux ainsi. Ce vol était si frivole qu'il m'en vint à l'adorer. Cet air était si doux. La main d'Eve vint m'effleurer. L'instant d'après, tout était terminé. 

Cycle 8Where stories live. Discover now