Déloyale(s)

06 - Explode

Douze jours plus tard, jeudi, 15h28. Aucune nouvelle, ni d'Alex, ni de Liam, ni d'Emma depuis presque deux semaines, même depuis que je me suis racheté un portable. Je ne pense qu'à ça, je ne pense qu'à Emma. Je n'arrive plus à me concentrer sur mon boulot, alors que j'ai une promotion à la clef. Adam Lewis continue de me lancer des regards bizarres à chaque fois qu'on se croise, mais, au moins, il me fait moins chier que l'autre connard de West. Je passe mes soirées chez des nanas avec lesquelles je couche, à m'alcooliser, à fumer. Mais je n'arrive pas à oublier les mots d'Emma, son visage, ses yeux. Je la déteste, je n'ai jamais été aussi enragée contre quelqu'un de toute ma vie – moi qui suis habituellement du genre imperturbable. Pour couronner le tout, les deux trous du cul qui me servent de concurrents multiplient les attaques sexistes et homophobes, désormais dirigées vers Liz Clare et moi. J'ai envie de les éventrer mais me contente généralement d'un rire ironique et d'un regard assassin. S'ils croient que leurs cerveaux étriqués me font me sentir menacée. Liz Clare, par contre, c'est un autre problème. Ça fait déjà quelques jours qu'elle arrête pas de dire qu'elle a bientôt terminé son projet, et qu'elle veut le présenter en avance pour montrer son extrême motivation. La meuf dort presque au bureau, tandis que j'essaie de camoufler mes cernes et mes gueules de bois quasi quotidiennes.

Huitième café de la journée, j'ai l'impression d'être une pile électrique. Environ cinquante mille feuilles de papier raturées autour de moi, mais je n'arrive à rien. J'ai à peine réussi à dessiner le bâtiment extérieur. Certains de mes croquis ressemblent plus au visage ou au corps d'Emma qu'à un putain de bâtiment.

- Tout va bien Miss Grey ?

Je sursaute et renverse la moitié de mon café sur mon chemisier blanc. Évidemment.

- Oh, je suis désolé je ne voulais pas vous faire peur.

Je me retourne pour voir un Adam Lewis, juste derrière mon fauteuil de bureau. Il fouille la petite poche de son costume trois pièces et en sort un mouchoir blanc. Il s'approche de moi d'un geste vif et pose le mouchoir au niveau de la tâche de café. What the hell. Il enlève sa main et me laisse le mouchoir. Je suis presque sûre qu'il me fait un clin d'œil mais j'ai encore trop la tête en vrac pour en être certaine.

- Je voulais savoir où en était votre projet pour l'agrandissement.

J'essaye de faire rouler un peu mon fauteuil pour cacher les feuilles en bordel sur mon bureau.

- Euh, c'est-à-dire que... ça avance.

- Vous n'êtes pas sans savoir que Miss Clare a déjà presque bouclé ce projet ?

- Oui bien sûr mais... écoutez je suis perfectionniste. Vous nous avez donné un mois, et je compte utiliser ce mois pour que mon projet soit à la hauteur de vos espérances.

Wow, bien joué Jill, s'il n'est pas impressionné avec ça. Une version miniature de moi est en train de m'applaudir dans mon cerveau pendant qu'une autre, debout sur une scène, la salue. Je secoue ma tête pour chasser cette image. Adam Lewis m'adresse un sourire en coin. Il semble satisfait de ma réponse et commence à partir. Mais il se retourne et me regarde droit dans les yeux.

- Si jamais votre projet n'était pas totalement abouti au terme de ce mois, sachez que, tenant très à cœur votre réussite, nous pourrons toujours, vous et moi, trouver un... arrangement, pour que vous ayez cette promotion.

Je crois voir un nouveau clin d'œil. Il se retourne et part en me laissant complètement ébahie, son putain de mouchoir que je tiens toujours sous ma poitrine. C'était quoi, ça ? Est-ce que ce connard vient sérieusement d'insinuer que j'allais coucher avec lui pour avoir cette promotion ? Je me retourne, appuie mes coudes sur le bureau et cogne ma tête dans mes mains. J'ai un haut le cœur. Merde, j'ai vraiment la gerbe. Paniquée, j'attrape ma poubelle et vomis mes tripes dedans. Je repose ensuite la poubelle comme si de rien n'était en checkant qu'aucun de mes collègues ne m'a grillée. Je ramasse mon sac à main posé sur le sol, enfile ma veste et je me barre en vitesse.