Déloyale(s)

13 - I wanna be your dog

Lundi, seize jours plus tard, 8h30. Je n'ai jamais été aussi ponctuelle à une réunion, ni aussi sobre. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir bu plus que de raison depuis deux semaines, pour essayer de me laver le cerveau de toutes les conneries autour de moi. Ça faisait un sacré moment que je n'avais pas eu l'occasion de voir les deux tronches de lard, assises en face de moi, ni Liz Clare, dont le stress est palpable. Lewis, quant à lui, semble toujours égal à lui-même : étrange et distingué. Je ne sais pas si mon calme plat est inquiétant ou non, sachant que je vais devoir présenter un projet qui pourrait marquer le tournant de ma carrière. Ceci étant dit, j'ai l'impression d'être plus moi-même à cet instant précis que depuis ces deux derniers mois. Lewis nous fait tout un blabla sur le projet, annonçant qu'il va écouter les trois présentations avec attention, et qu'il nous donnera une réponse dans les plus brefs délais. Je soupire mentalement. Pourquoi ces moments-là paraissent-ils toujours plus longs ?

Après avoir tiré à la courte paille, il a été déterminé que je passerai la dernière. Je ne sais pas trop comment accueillir la nouvelle, mais, dans un sens, ça me donnera une chance d'évaluer les présentations de mes rivaux. Les faces de rats passent les premiers, et je les écoute d'une oreille distraite. Leur projet est à chier du début à la fin, et je vois que Lewis fait une grimace lorsqu'ils ont terminé, le genre de grimace qui veut dire « j'ai envie de gerber mais je suis poli ». Je suis rassurée, même si je n'en avais pas vraiment besoin. Lorsque Liz Clare entame sa présentation, je me redresse un peu. Lewis a l'air plus attentif, lui aussi, et se tripote le lobe d'oreille. L'approche de Liz est très classique, mais une valeur sûre. Son projet d'agrandissement se base sur l'architecture d'origine du campus. Elle veut reprendre les mêmes matériaux, les mêmes structures, afin que tout soit harmonieux. Je trouve son choix intéressant et comprend qu'elle a une grande chance de décrocher le projet quand je vois la réaction très enthousiaste de Lewis. Une petite pointe de stress me traverse le corps lorsque je vois Liz se remettre à sa place et le regard de toutes les personnes présentes dans la salle converger vers moi. Je secoue la tête et me lève, affichant un air calme et imperturbable. Je suis au summum du professionnalisme. J'ouvre mon document de présentation et commence mon discours, bien rôdé depuis une bonne semaine.

– Je propose d'agrandir ce campus en gardant les mêmes matériaux que les bâtiments d'origine. Cependant, je pense qu'il est intéressant de moderniser les formes de ce campus.

Je fais défiler mes plans, et oublie presque le temps tellement je suis à fond.

Je retourne m'asseoir, encore plus confiante quand je vois le regard de Lewis. Il se lève et met fin à la réunion, en nous rappelant les conditions pour les candidats au projet. Professionnalisme, blablabla. Je remballe mes affaires et vais directement vers mon bureau, resté longtemps inutilisé. Je m'écroule dans ma chaise et croise les jambes sur mon bureau en sortant une clope de ma poche. Je sors mon briquet, le place en dessous de ma cigarette pour l'allumer.

– Miss Grey.

Je sursaute et me lève en manquant de me casser la gueule.

– Mr Lewis ?

Il m'adresse un sourire en coin que je trouve particulièrement gênant, fait quelques pas dans ma direction en poussant derrière lui la porte pour la refermer. Je fronce un peu les sourcils.

– Félicitations pour votre présentation.

Alors qu'il n'est plus qu'à un mètre de moi, je ne peux empêcher un léger mouvement de recul, décontenancée.

– Merci... ?

Je n'ose pas trop le regarder tant il me met mal à l'aise, mais lui ne se gêne pas pour me fixer intensément.