Mythologie, licornes et polyfiction

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En supplément, un index des personnages rencontrés  à la fin de la nouvelle.


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Il faisait noir. Vraiment noir. Si noir que les ténèbres du manoir semblaient engloutir la lueur émise par la flamme qui avançait prudemment dans le couloir.

Bruit de chute. La flamme se rapprocha dangereusement du sol, vacilla, manqua de s'éteindre... se stabilisa. Quelqu'un reprit son souffle.

– Nom de Zeus ! jura une voix dans l'obscurité.

L'individu – sans doute un homme – se releva, s'épousseta, reprit sa marche hasardeuse. Cela faisait une heure – une heure ! – qu'il déambulait dans ce dédale de couloirs et d'escaliers sans rencontrer âme qui vive. Les portes ne manquaient pas non plus. Le jeune homme devait en avoir croisé plus d'une cinquantaine depuis le début de sa marche infernale. Une cinquantaine... toutes fermées, évidemment.

Il avait perdu le fil du temps. Les lanières de ses sandales en cuir commençaient à lui faire mal. Il grimaça une énième fois, tout en remerciant Héphaïstos de maintenir sa flamme allumée. Manquerait plus qu'il se retrouve dans le noir complet.

Un grincement ténu résonna soudain dans le silence étouffant du manoir. Il venait du sommet de ces escaliers. Le jeune homme ignora encore une fois la peau irritée de ses chevilles et grimpa les marches avec lenteur. Quelque chose de doux étouffait ses pas. En haut, une porte entrebâillée semblait l'attendre. Il ne prêta pas attention à ce détail intriguant et se faufila par l'espace qu'elle lui laissait.

En tendant sa torche aussi loin que son bras le lui permettait, il devina qu'ils se trouvait dans une pièce exiguë, carrée. Sur chaque mur était alignée une rangée de petits cadres en métal travaillé, qui luisait lorsque la flamme passait devant. L'individu se rapprocha du plus à gauche. Dedans, de simples lettres grecques qui formaient un nom : Οἰδίπους.

Œdipe.

Il fronça les sourcils. Bizarre de retrouver son nom ici. Ceci dit, ce n'était sans doute rien de bien grave. Un coup d'Hermès, peut-être. Il était connu pour son côté taquin. Ou était-ce de Zeus ? Le jeune homme avait ouï dire que son humour était particulier.

Œdipe haussa les épaules et aborda le tableau suivant. Un visage. Son visage. Lui. Il en était sûr à cent pour cent. Les mêmes cheveux bruns bouclés, les mêmes yeux bleu azur, les mêmes fossettes, les mêmes tout. Le sourire que sa représentation lui renvoyait l'encouragea à continuer son visionnage.

Il découvrit une vieille femme décrépie en transe, assise en tailleur sur un tapis poussiéreux, dans une grotte sombre. Pleins de prestance, une femme enceinte et un homme de grande taille étaient debout devant elle, inquiets.

L'Oracle. C'était l'Oracle.

L'image d'à côté montrait son père adoptif, le roi de Corinthe, recueillir un bébé. Sur la suivante, Œdipe partait en voyage, baluchon sur l'épaule.

« À la recherche de mes vrais parents », songea le jeune homme.

Le cadre d'après le présentait en train d'essuyer son épée devant le corps d'un vieux voyageur trop insolent. Œdipe ressentait encore la sensation de la lame transperçant la chair humaine, raclant les côtes, déchirant les tissus organiques, la sensation du sang chaud giclant sur son bras.

La vision du corps s'imposa à son esprit, et il secoua la tête pour revenir à la réalité. Cette réalité le dirigea tout naturellement vers le cadre suivant. Un sphinx majestueux le dominait, couché sur son perchoir aux portes de Thèbes. Un corps doré de félin tout en muscles, un buste aux courbes féminines délicieuses, un regard saphir et perçant, des crocs luisants et acérés. Oh oui, Œdipe se souvenait du Sphinx. Du Sphinx, et de son énigme, qui avait bien failli avoir raison du garçon.

Le piment de la vie (Ah, l'aventure...)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant