Le piment de la vie (Ah, l'aventure...)

Ce qui se cache dans le noir

Nous avons tous eu peur du noir durant notre enfance.

Nous avons tous eu peur du noir, mais nous avons appris petit à petit que cette peur était irrationnelle. Alors avec le temps, la plupart d'entre nous ont appris à canaliser cette peur.

On court jusque sous notre couette après avoir éteint la lumière. On voit des formes se mouvant dans le noir le plus complet, la silhouette inquiétante d'un inconnu immobile qui n'est que chaises et vêtements.

Je suis comme beaucoup de monde : le noir m'inquiète, mais je me lève tous les matins dans l'obscurité la plus complète pour allumer la lumière sans une hésitation.

Les yeux grands ouverts par réflexe, j'appuie sur l'interrupteur qui balaie les ténèbres de la petite pièce. Chaque matin. Sept jours par semaine.

La peur du noir est irrationnelle, et pourtant chaque matin désormais je traverse ma chambre terrassée par une angoisse ténue, tapie au fond de moi, une inquiétude discrète de la taille d'une puce qui me ronge dès la lumière éteinte.

Je ne crois pas au surnaturel. Pas du tout. Je suis convaincue que les évènements paranormaux n'arrivent qu'à ceux qui veulent bien y croire en premier lieu, et vous n'arriverez pas à me faire penser le contraire.

Je n'y croyais pas avant, et je n'y crois pas plus maintenant.

Ce matin-là, je me réveille, comme d'habitude. L'obscurité est totale, mais d'ici quelques secondes elle sera balayée par la lumière.

Je me lève dans le noir, les yeux grands ouverts. Je fais quelques pas, tends le bras à l'avance : l'interrupteur est bientôt à portée de main.

Et soudain, je sursaute, mon cœur se fige et mon sang se glace. Là, devant moi, à moins d'un pas de moi, se tient une ombre. Une ombre si haute qu'elle me dépasse d'au moins une tête. Une ombre noire, longiligne, avec deux bras et deux jambes, une ombre de ténèbres dans les ténèbres de ma chambre. Une ombre que je ne devrais pas voir.

La réaction est physique. C'est une chose que de voir des formes dans le noir ; c'en est une autre de ressentir cette présence, une présence tout proche, trop proche, beaucoup trop proche.

Elle est là, devant moi. Je suis figée de terreur comme ça ne m'est jamais arrivé. Je sais que ce n'est pas réel, je le sais. Et pourtant cette sensation saisissante, glaçante, ne part pas. La silhouette est là, elle l'est physiquement, et toute la raison du monde ne parvient pas à convaincre mon corps du contraire.

L'interrupteur est hors de portée et je dois encore avancer pour l'atteindre, seulement c'est impossible.

Un pas, et la distance qui nous sépare n'est plus. Un pas et je me fonds en elle. Un petit pas.

La silhouette ne bouge pas. Elle n'est pas réelle elle n'est pas réelle elle n'est pas réelle ce n'est pas réel elle n'est pas réelle.

Le ferme les yeux et serre les paupières très fort, trop fort. J'avance d'un pas que je veux sûr mais qui n'est que crispation et crainte de la collision, et...

... ma main rencontre l'interrupteur.

"Clic !"

La lumière envahit la pièce en une fraction de seconde, et en une fraction de seconde tout disparaît.

Bien sûr que ça n'était pas réel. Je le savais. Et pourtant me voilà, debout au milieu de ma chambre, encore sous le choc. Qu'est-ce que c'était...?

Je ne sais toujours pas. La seule certitude est que c'était une vision terriblement réaliste. Que mon esprit me joue des tours dans le noir, c'est normal, mais si mon corps et ses réflexes sont de la partie aussi...

Tout ce dont je me souviens, c'est de la sensation absolument physique de cette présence, si concrète que mon estomac se tord d'angoisse à l'idée de revivre cela.

Ma vie n'a pas beaucoup changé depuis. Je ne crois pas au surnaturel. Je me lève dans le noir le matin, je me couche dans le noir le soir.

Mais je n'oublie jamais de serrer les paupières le plus fort possible. Je ne veux pas revoir ça. Je ne veux pas revivre ça.

J'ai peur du noir.

Le 18.09.21