Chapitre 4
« Ça va ? »
« Ouais. Toi ? Rien à signaler ? »
« Non. Il a pas bougé. Il dort toujours, on dirait. »Non, je ne dors pas. Je ne dors plus depuis longtemps. Mais je suis toujours couché dans le lit, sous la couette, les yeux fermés. J'ai chaud, je suis bien et j'ai pas envie de bouger. J'entends encore quelques mouvements, des froissements de tissus, des bruits de pas, le grincement des gonds et la porte qui se referme doucement. L'Asiatique, Glenn, est sûrement parti maintenant. Quelqu'un vient d'arriver pour le relayer. Et à en croire les modulations bourrues de la nouvelle voix, c'est ce Darren, ou je ne sais plus trop comment, qui est venu jouer les matons à mon chevet maintenant. A présent que Glenn est parti, l'autre ne parle plus. Il est comme seul, parce que moi, je ne suis pas là, je n'existe pas. Ils ne s'adressent jamais à moi. Ils parlent entre eux devant moi, ils parlent même de moi, mais ils ne parlent jamais avec moi.
Trois jours. Ça fait trois jours maintenant. Que Mémé Alza s'est cogné la tête. Que j'ai passé la nuit ligoté et plié en deux dans cette foutue voiture. Et on en est toujours au même point. Pauvre Mémé est alitée et a réussi à s'attirer la sympathie de tout le monde, tandis qu'Ousama, le dangereux terroriste, est toujours prisonnier. Et tandis que les gentilles et prévenantes infirmières se relaient visiblement au chevet de la vieille, mes geôliers se succèdent à ma garde. L'affaire d'une nuit avais-je pensé il y a trois jours, tu parles ! Une amélioration notable dans mes conditions de captivité tout de même, le groupe a pris quartier dans une petite maison abandonnée, relativement confortable en plus. Pendant que tous ces crétins sont agglutinés dans les deux grandes pièces de vie en enfilade, moi, j'ai ma propre chambre. Être un pestiféré a du bon. J'ai un lit pour moi tout seul, et juste un maton qui change de visage régulièrement pour me tenir compagnie.
J'ai toujours les yeux fermés, le visage partiellement enfoui dans l'oreiller. Si je fais preuve d'imagination, je parviens presque à prétendre que je suis dans mon lit, dans ma vie d'avant, confortable et routinière. Je pourrais presque croire que rien n'a changé, que ces derniers mois n'étaient qu'un mauvais rêve, une méchante illusion, que je vais bientôt me réveiller en sursaut, fiévreux. Je pourrais presque penser ça, presque. Mais, alors même que je garde mes bras immobiles, je sens la meurtrissure de la corde sur l'épiderme de mes poignets. Mais les draps de lit puent trop pour être les miens. Mais ma barbe, longue de plusieurs semaines, démange irrésistiblement ma peau, que j'avais auparavant toujours conservée imberbe. Mais mes cheveux gras sont collés contre mon crâne et la couche de crasse et de sueur, accumulée sur tout mon corps, me gêne, me révulse. Elle est loin la vie d'avant. Loin la douche quotidienne, le rituel du rasage, l'odeur des draps frais, la liberté.
Bientôt, ma position devient franchement inconfortable. L'odeur infecte de l'oreiller commence à me déranger à tel point que laisser mes narines reposer contre le coton rance devient une torture. Les liens qui enserrent mes poignets m'ont tant blessé que des croutes se sont formées à la surface de ma peau. Et ça chatouille. Maintenant que j'y pense, ça chatouille horriblement. Mon cuir chevelu sale me démange aussi. Et ma barbe. Mon pied gauche s'est engourdi et j'ai envie de le secouer. Je me mets à gigoter, d'abord timidement, l'air de rien, puis un peu par à coups, pour donner l'impression que j'ai le sommeil agité. Mais très vite, je laisse tomber. J'ai mal au dos, j'ai envie de m'asseoir. Ça ne sert plus à rien de feindre de dormir. C'est tellement peu crédible à présent que persister serait ridicule. J'ouvre les yeux. Je m'assieds maladroitement. Davy Crockett a tourné la tête vers moi. Il me regarde fixement. En silence. Ça ne me surprend pas, parce qu'ils ne me parlent jamais. Je n'existe pas.
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Traversées
FanficAlors qu'un premier hiver post-apocalyptique est à leur porte, quelques êtres humains que tout semble séparer se lancent, presque malgré eux, chacun dans une quête folle qui les mènera au-delà d'eux-mêmes.