L'élément perturbateur

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Ce matin, quelqu'un frappa de bonne heure à la porte. C'était le mystérieux homme qui m'avait téléphoné plus tôt. Il n'était pas aussi grand que l'aurait laissé paraître sa voix. C'était un homme grave, posé et assez discret. Il fût reçu à la porte par Yannis, qui me signala aussitôt :  « Quelqu'un à la porte demande à te voir, Maman ». Je crois que c'est là, à ce moment précis que tout a commencé pour de vrai.

Je n'ai pas eu besoin de plus de détails pour comprendre qu'il s'agissait de mon inconnu de la veille, alors je sortis à sa rencontre parée à toute éventualité, ayant préalablement signalé à Jacob que j'allais rencontrer le fameux Arthur Lambert qui me taraudait tant l'esprit, et lui ayant demandé d'appeler la police au cas où je ne serais pas réapparue dans deux heures de temps .

- Je ne croyais pas un seul instant que vous viendrez à ma rencontre,Madame.

Je m'avançai vers lui d'un pas indécis dans un premier temps, puis par la suite avec autant d'assurance que la peur qui avait brusquement pris possession de mon être me laissa rassembler.

- Je suis là, pourtant.

Il me tendit la main et me fit signe de le suivre, prétextant que l'endroit n'était pas approprié pour la conversation qu'il voulait avoir avec moi. J'avais de plus en plus peur, mais je le suivis quand même, mains et pieds tremblants et le cœur battant la chamade. L'homme sentit tout de suite mon malaise et me rassura du mieux qu'il pût, mais rien n'y faisait. On aurait dit que mon corps essayait de me prévenir d'un danger imminent, mais je m'obstinais à suivre cet homme dont je ne savais absolument rien.
Sur le chemin qui menait à cet endroit où il me conduisait sans que je pris la peine de lui demander une seule fois où nous allions, nous parlâmes de tout et de rien: du temps qu'il faisait, de B-U-T, de la ville, des vacances, de la végétation et d'un tas d'autres choses dont j'avais l'impression de parler machinalement, sans vraiment comprendre pourquoi je lui répondais étant donné que je n'en avais pas envie.
Nous arrivâmes finalement dans un parc où il me fit signe de le rejoindre sur un banc fait de lianes tressées d'une façon magnifique. Le parfum de l'herbe mouillée était encore présent, et la petite brume me rappelait à quel point il était tôt, et le risque que je prenais à suivre un inconnu aussi loin et à une heure pareille.

- Bien! Reprit-il
Je vous ai fait venir ici pour vous parler d'un sujet très sérieux, Amélia. Ronn n'est pas du tout l'homme qu'il prétend être. Vous êtes une femme bien et méritez le meilleur, vos enfants et vous. Partez tant qu'il en est temps. Ne le laissez pas gâcher votre vie plus longtemps.

Je l'écoutais attentivement, mais ne voulais pas prendre à cœur un seul des mots qui sortaient de sa bouche, car pour moi j'étais la seule à connaitre vraiment mon mari, et tout ceci ne pouvait être que du sabotage. J'étais en colère. En colère contre moi parce que j'avais accepté de rencontrer cet homme qui croyait tout savoir de mon mari alors qu'il ne le connaissait même pas, et en colère contre toutes ces personnes qui ne voulaient pas s'occuper de leurs affaires et préféraient jouer les juges dans celles des autres. Je ne voulais plus rien entendre. Je voulais juste rentrer chez moi et prendre un bon bain pour me changer les idées. Je le saluai donc poliment et décidai de rejoindre les miens sans plus tarder. Jacob avait besoin de mon avis sur la déco de la salle de banquet pour l'événement tant attendu et il fallait que je termine les croquis de tenues pour le défilé de fin d'année qui aurait lieu dans à peine une semaine, et pour lequel j'étais tout sauf prête.
Je marchais aussi vite que je pouvais, je courais presque, espérant qu'il ne me suive pas, et l'homme ne tenta point de me rattraper pour essayer de me convaincre ou quoi que ce soit. Il resta assis là, me regardant m'éloigner. On aurait dit que je pouvais sentir son regard sur moi, et ça me faisait froid dans le dos.

Une fois de retour à la maison, je m'empressai de monter dans la chambre de Jacob, Rebecca et Yannis à ma suite.

- Je peux entrer ?
- Mais bien-sûr Maman, c'est ta maison !

NihassahOù les histoires vivent. Découvrez maintenant