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Je vais en finir.

Je suis décidé. Déterminé.

Plus rien ne pourra m'arrêter. Ni me faire changer d'avis.

Je referme la porte de la petite salle d'eau de ma maison. Celle que j'ai construite de mes mains quelques semaines après notre arrivée sur Renaissance, cette planète à 125 années de la Terre qui nous avait finalement accueillis, moi, le reste de Spacekru, les lambeaux de Wonkru, les derniers prisonniers d'Eligius, Madi... et Clarke.

Je ne pousse pas le verrou. C'est inutile. Je vis seul ici. Echo a déménagé ses affaires il y a déjà un mois de ça et m'adresse à peine la parole depuis que nous sommes séparés. Personne ne viendra m'interrompre ou m'empêcher de faire ce qui s'avèrera peut-être une erreur monumentale.

Je m'observe dans le miroir qui surplombe le lavabo. Je m'observe longtemps, jusqu'à avoir l'impression que mon reflet est une autre personne. Une autre personne qui me regarde. Jusqu'à ce que j'arrive à presque dissocier cette image de mon propre corps.

Je détaille les boucles brunes, trop longues, qui me tombent dans les yeux. Certains cheveux grisonnent de-ci, de-là, et je grimace à cette vue.

Je distingue toujours la cicatrice qui court à travers mon sourcil gauche, mais plus celle de ma lèvre supérieure, qui a disparu sous la moustache de ma barbe foisonnante. Cette même barbe a effacé quelques unes de mes taches de rousseur, mais on distingue toujours la plupart d'entre elles, étalées sur mes joues et mon nez.

Des rides sont apparues sur mon front. Les lignes d'une inquiétude constante qui ont fini par s'incruster sur ma peau et y laisser leurs traces indélébiles. Le même tourment se lit dans mes yeux sombres et constamment tristes.

Je me regarde et je vois un homme las et épuisé. Un homme que les épreuves, le temps et le deuil ont fini par briser. Quelqu'un de seul. D'immensément seul. Quelqu'un qui a tout donné pour la survie et l'épanouissement de l'humanité, jusqu'à la toute dernière once de l'énergie qui l'habitait. Quelqu'un de désormais vide. Mes prunelles brunes sont éteintes. La lueur qui y brillait parfois s'est envolée avec le reste de mes espoirs.

Je repense à tous ceux à qui j'ai offert des parties de moi et qui sont partis sans rien me donner en retour, ou trop peu.

Je repense à ma sœur, trop occupée à se reconstruire elle-même pour tenter de recréer les liens qui nous unissaient autrefois et que nous croyions indestructibles.

Je repense à Echo, que je croyais mienne et à qui je pensais appartenir, et à notre histoire, vouée à l'échec avant même d'avoir commencée.

Je repense à Harper et Monty, qui ont choisi de vivre leur vie sans nous et à leur fils, laissé orphelin dans un monde que nous peinons encore à comprendre.

Emori et Murphy passent leur temps à se disputer bruyamment, puis à se réconcilier encore plus bruyamment.

Raven et Shaw se découvrent encore l'un l'autre avec une complicité grandissante et déconcertante.

Et tout cela... tout cela me fait penser à Clarke.

Clarke qui m'ignore. Clarke qui m'évite. Clarke qui s'éloigne.

Clarke intouchable. Clarke à qui je ne peux adresser deux mots. Clarke qui me manque.

Au trou dans ma poitrine qui grandit à chaque fois qu'elle baisse la tête sur mon passage, qu'elle se dérobe quand je l'approche, qu'elle détourne le regard quand elle croise le mien.

Aux "pourquoi" qui tournent en boucle dans mon esprit et qui ont fini par rendre Echo presque folle de rage et de jalousie. Aux "parce que" que j'essaie de faire taire et qui ont valu à celle que je n'aimais pas suffisamment de partir et me laisser.

Soudain, la solitude et la tristesse sont si fortes que je dois m'appuyer à l'évier, chancelant. Je prends une grande inspiration et ouvre le robinet. J'entends la pompe s'affoler quelque part dans la maison, puis l'eau coule doucement dans le lavabo, petit miracle d'ingénierie signé Raven. D'une main tremblante, j'empoigne la lame que j'ai empruntée plus tôt aux cuisines.

Empruntée, pas volée, ils pourront bien la récupérer plus tard, quand j'en aurai terminé.

Je referme mes doigts sur le métal froid et m'observe une dernière fois dans le miroir devant moi.

Il est temps. Cela a assez duré. Je me suis assez supporté. Avec cet ultime acte de courage, je tourne la page de ma vie.

Doucement, j'approche la lame de mon cou et, d'un coup sec, glisse son tranchant sur ma carotide et...

La porte de ma salle de bain s'ouvre avec fracas et je sursaute, alerte et prêt à tout, sauf à l'image d'une Clarke totalement furieuse. L'air désemparé, elle me fait face, serre les poings et me crie :

— Bellamy ! Qu'est-ce que tu crois être en train de faire ?

Ma Lame sur ta PeauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant