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[— Clarke...]

***

Son prénom roule sur ma langue d'une façon si familière que cela me déstabilise une seconde. Je vois cependant, qu'il la déstabilise elle-aussi. Elle ressert imperceptiblement sa prise sur ma taille et déglutit difficilement. Immédiatement, je ressens le besoin presque physique de la rassurer, de la protéger.

Pourtant, je peine à trouver les mots et ne fais que balbutier :

— Jamais je ne...

Je tente désespérément de me reprendre et cherche les paroles justes, celles qui l'amèneront à croire que jamais je ne serai capable d'agir aussi lâchement. Jamais je ne serai capable de lui faire autant de mal. Cependant, j'ai besoin qu'elle me regarde pour cela. J'ai besoin qu'elle lise dans mes yeux tout ce que mes mots ne pourront jamais exprimer.

Alors, je le lui demande et murmure, supplie presque :

— Clarke, je t'en prie, regarde-moi.

Je vois la surprise teinter l'expression de son visage, mais elle obéit et lève ses yeux vers moi. Toute hésitation s'efface instantanément de ses traits, comme de mon esprit et les mots coulent d'eux-même :

— Je te promets que je ne ferai jamais ça, affirmé-je avec conviction en même temps qu'elle déclare :

— Je ne peux pas te perdre aussi.

Je ne peux pas te perdre aussi. Je ne peux pas te perdre aussi. Je ne peux pas te perdre aussi.

Les mots familiers résonnèrent en moi, me ramènent à un autre temps, dans une autre vie, à un autre moment. Ils planent dans l'air, alourdissent l'atmosphère entre nous, la rendent lourde de sens et de tension. Avec eux, d'autres paroles me reviennent et s'accompagnent de souvenirs tout aussi douloureux. Avec eux, je me rappelle qu'à chaque fois que Clarke s'est rapprochée de moi, c'est pour mieux m'abandonner par la suite, que cela soit volontaire ou non.

Elle m'avait offert le pardon que j'ignorais rechercher avant de fermer sur moi et Finn la porte de la navette qui nous avait menés sur Terre pour enflammer vivants les guerriers natifs venus nous détruire. Puis elle avait disparu, enlevée par les hommes sous la montagne.

Non, avait-elle tonné à ma proposition de m'infiltrer sous la Montagne afin de la faire tomber de l'intérieur, avant de m'y envoyer sans même un au-revoir.

Ensemble, m'avait-elle promis en abaissant le levier du Mont Weather, avant de prendre la décision de partir seule dans sa quête de rédemption, m'abandonnant ainsi à ma propre culpabilité.

Du fait de son absence, j'avais traversé le deuil de Gina et du reste de notre peuple de façon chaotique et commis des erreurs que je ne pourrais jamais me pardonner, des abominations qui avaient entraîné la mort de Lincoln et provoqué des changements irréversibles chez Octavia.

Je n'avais retrouvée Clarke après la Cité des Lumières que pour mieux la perdre sous la menace de Praimfaya. Et même dans ces moments, je n'avais eu de cesse de la regarder m'échapper. Dans les bras de Niylah. Dans des missions qui ne manquaient jamais de nous séparer temporairement.

Puis, définitivement, avais-je cru, lorsque la vague de radiations mortelles s'était abattue sur Terre et qu'à mon tour, j'avais dû l'abandonner à ce que j'avais cru une mort certaine.

Enfin, six ans plus tard, quand j'avais cru la retrouver, quand ce miracle m'était arrivé, quand je m'étais enfin senti revivre en la voyant bien vivante devant moi, le destin n'avait mis que quelques semaines à se jouer de nous, encore, m'avait obligé à donner vie à son pire cauchemar, l'avait poussée à la pire des trahisons, m'avait éloigné d'elle, encore.

Lorsque tout avait été terminé, 125 années de sommeil nous avaient encore plus distancés l'un de l'autre.

Et quand j'avais cru que notre arrivée sur cette planète providentielle allait enfin m'accorder les retrouvailles que j'espérais, je m'étais encore trompé. Je n'avais récolté que cette espace insoutenable et grandissant qui me rendait fou, mais qui était de mon fait autant que celui de Clarke.

À tous ces souvenirs, ma colère gronde et rugit et je ne peux empêcher ma voix de se durcir quand je demande :

— Qu'est-ce que tu veux, Clarke ?

Elle paraît surprise par ma question pourtant légitime. Si ses doigts n'étaient pas en train d'empêcher le léger saignement de ma blessure à cet instant précis, je suis presque sûre qu'elle s'échapperait. Je la vois presque tourner les talons sans m'adresser un mot, fuir mon regard et flotter en dehors de cette maison.

Inconsciemment, je porte ma main au poignet qu'elle a levé jusqu'à mon cou et enserre mes doigts autour de sa peau. Ma colère sourde ne m'empêche pas d'égoïstement vouloir la garder près de moi.

Elle se racle la gorge avant de répondre :

— Je voulais juste m'assurer que tu allais bien. Raven m'a appris pour Echo tout à l'heure et je... Je voulais juste m'assurer que tu allais bien, répète-t-elle, comme à court de mots.

— Echo et moi avons rompu il y a un mois de ça.

Je me sens obligé de le préciser. Je me sens obligé de le lui dire et espère qu'elle s'aperçoive ainsi du gigantesque gouffre qui se dresse entre elle et moi et qui l'a maintenue ignorante d'une information si importante.

— Oui, et bien, je ne suis au courant que depuis une heure. Si Raven ne me l'avait pas dit, j'aurai sûrement vécu toute ma vie sans le savoir.

Ah, le voilà, le sarcasme mesuré. L'ironie mordante. La preuve qu'elle aussi se rend compte de la distance qui nous sépare. La preuve qu'elle aussi en souffre peut-être autant que moi.

— De toute façon, ça ne me concerne pas, marmonne-t-elle finalement.

J'ai envie de hurler. J'ai envie de la secouer. Comment lui ouvrir les yeux ? Comment lui dire que ma rupture avec Echo a tout à voir avec elle ?

— Tu ne pourrais pas plus te tromper, Clarke.


Ma Lame sur ta PeauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant