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[— Bellamy ! Qu'est-ce que tu crois être en train de faire ?]

***

Cette phrase est la plus longue qu'elle m'ait adressée depuis notre réveil de cryogénie. Choqué, j'observe la jeune femme. Je détaille la peau pâle de son visage, son expression désespérée mêlée de colère, ses grands yeux bleus interrogateurs et mille questions se bousculent dans mon esprit.

Qu'est-ce que tu fais là ?

Depuis combien de temps m'observes-tu ?

Qu'est-ce que tu veux ?

Ça y est, tu m'adresses la parole, maintenant ?

Pourquoi m'ignorer pendant tout ce temps ?

As-tu besoin de moi autant que moi, j'ai besoin de toi ?

Parmi toutes questions, je choisis de n'en poser aucune et me contente de répondre à son interrogation.

Que m'a-t-elle demandé, déjà ? Ah oui, qu'est-ce que je suis en train de faire...

— Me raser.

L'expression de son visage change brutalement, comme un soleil, brièvement éclipsé par la lune, qui retrouve soudain son éclat. La peur et la tristesse quittent ses traits. Un joli dégradé de rose colore ses joues. Ses lèvres s'ouvrent de surprise dans un "O" parfait. L'embarras s'empare de son regard qui devient tout à coup fuyant et quitte le mien.

Immédiatement, l'azur de ses prunelles me manque et je ne souhaite qu'une chose, qu'elle me regarde à nouveau. Plonger mes yeux dans l'océan des siens et m'y noyer pour toujours. Ignorant la teneur du désir qui me submerge, elle se racle la gorge et déclare en fixant le sol :

— Est-ce que tu en es sûr ? Je t'ai suivi... Je t'ai vu par la fenêtre et cela n'avait pas l'air d'être ça.

Cette fois, les mots sortent tous seuls de ma bouche dans un sarcasme qui ne m'a jamais vraiment quitté :

— Tu m'espionnes maintenant, Princesse ?

Elle ouvre de grands yeux devant l'usage du vieux surnom qui, lui non plus, ne l'a jamais vraiment quitté. Dans mon esprit, Clarke sera toujours la Princesse de nos débuts. Fière, obstinée, altière. Elle redresse la tête et accroche mes iris des siennes et soudain, le revoilà : l'azur, le saphir ; le ciel, l'océan. Clarke. Elle est bien là et je décide à cet instant précis que je ne la laisserai plus jamais partir.

Je souris néanmoins devant sa réaction outrée et cette action provoque une vive douleur dans mon cou, là où la lame glissait sur ma peau quelques secondes plus tôt. Je porte ma main à ma gorge et observe le sang sur mes doigts, perdu, avant de jurer.

— Fils de...

— Ne bouge pas, m'ordonne Clarke en m'interrompant.

Elle supprime l'espace qui nous sépare en deux enjambées. Je pense d'abord qu'elle va me prendre dans ses bras tant elle se rapproche, mais comprends vite son intention lorsqu'elle s'empare de la lame ensanglanté et la pose sur le rebord de l'évier avant de se saisir d'un linge dans mon dos, de l'humidifier à l'aide du robinet, puis de l'appliquer sur ma blessure.

La part en elle qui ne cessera jamais d'essayer de guérir et soigner son prochain s'était soudain ranimée devant le sang qui s'écoulait désormais de ma plaie, mais cela n'empêche pas mon cœur de s'emballer et ma respiration de se bloquer bruyamment dans ma gorge devant cette soudaine et inattendue proximité.

Idiot, idiot, idiot...

— Désolé, murmure-t-elle en prenant ma réaction pour de la douleur.

Cependant, je suis à mille lieues de toute sorte de douleur. Tout ce que j'arrive à ressentir à cet instant précis, c'est sa main gauche, si fraîche sur ma peau. C'est la droite, qu'elle a posé sur ma hanche dans un geste absent pour garder son équilibre. C'est son souffle sur mon cou. C'est son odeur sucrée, mélange fruité et fleuri indescriptible et enivrant. Ce sont les palpitations de mon cœur dans ma poitrine tandis que celui-ci menace d'exploser et de sortir de ma cage thoracique.

Je reste silencieux sous peine que les prochains mots à sortir de ma bouche soient la déclaration inopportune de mon amour inconditionnel pour elle, de la souffrance que provoque son absence, du manque de sa présence auprès de moi. Je les sens se bousculer sur ma langue et obstruer ma trachée.

Je me racle bruyamment la gorge tandis qu'elle continue sa tâche, le regard maintenant fixé vers ma plaie :

— Il faut maintenir la pression sur cette coupure le temps que le saignement s'arrête. Ce n'est pas très profond, cela ne devrait pas durer très longtemps. Tu n'auras pas besoin de points de suture. Quoique tu aies essayé de faire, tu as clairement raté ton coup.

L'ironie est présente dans sa voix, mais alors que je croise à nouveau son regard, j'y trouve un sentiment plus intense. La peur affichée sur son visage lors de son arrivée dans la pièce tout à l'heure est encore présente quelque part et je ne comprends pas pour quelle raison.

Mon esprit tourne quelques secondes, constatant les faits. Je me repasse la scène dans mon esprit et c'est alors que ça me frappe.

Elle se trouvait au réfectoire quand j'y ai dérobé le couteau.

Elle m'a observé.

Elle m'a suivi jusqu'ici et m'a regardé errer dans la maison, mettre de l'ordre dans mes affaires d'un air absent, puis entrer dans cette salle de bain.

Là où j'ai contemplé mon reflet d'un air encore plus perdu pendant plusieurs longues minutes avant de me saisir du couteau et de le porter à ma gorge...

Je revois son entrée fracassante dans la petite pièce et le désespoir sur son visage.

Impossible...

Clarke a-t-elle vraiment cru que j'allais mettre fin à mes jours ? Ai-je l'air si seul et si désemparé que la tentation de mettre fin à ma vie paraît plausible même aux personnes qui me connaissent le mieux ?

— Clarke...

Ma Lame sur ta PeauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant