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— Tu ne pourrais pas plus te tromper, Clarke.

***

Elle tressaille et, cette fois, ne peut s'empêcher de plonger ses prunelles au couleur de ciel dans les miennes. Je la vois chercher les réponses aux questions qu'elle refuse de formuler et je brûle de les lui donner. Cependant, l'éclat de son regard change brusquement et s'assombrit quand elle affirme, la voix néanmoins tremblante :

— Peut-être, mais dans tous les cas, je ne veux pas savoir.

Sa phrase me paralyse totalement.

Elle ne veut pas savoir ? Comment peut-elle ne pas vouloir savoir ? Elle qui a toujours remué ciel et terre pour tout comprendre et obtenir la vérité à toute chose ?

Je me sens soudain las de tous ces secrets. J'ai conscience que je ne garde certains d'entre eux que pour la protéger. D'autres uniquement pour me protéger moi. Quelques un encore parce que je suis trop lâche pour me mettre à nu.

Néanmoins, quelque chose a changé en moi, aujourd'hui.

Je peux presque lister à quels instants précisément ma perception des choses a basculé.

Au moment où j'ai ouvert les yeux ce matin et où le silence de mon foyer m'a assourdit.

Au moment où je me suis assis à ma place habituelle au réfectoire, entre Raven et Murphy, et où, malgré leur présence, la solitude m'a presque étouffé.

Au moment où le rire de Madi m'a tiré de ma réflexion et où mes yeux ont accroché la silhouette de Clarke discutant avec Indra pendant que leurs filles respectives déjeunaient près d'elles.

Au moment où j'ai décidé que tout cela ne pouvait plus durer et où j'avais besoin d'un changement drastique.

Au moment où j'ai porté la lame sur ma peau.

Au moment où un plan a commencé à se former dans mon esprit.

Me débarrasser du poids de ma culpabilité, de tout ce qui me rappelle mes jours les plus sombres.

Saisir les opportunités que me présente la vie.

Vivre l'instant présent.

Ne plus rien regretter.

Redevenir celui que j'étais.

Et une fois cela accompli, lorsque je me serai senti prêt, senti moi-même à nouveau : forcer Clarke à me prêter attention.

La pousser à me remarquer.

L'obliger à me regarder. A m'entendre. A m'écouter.

Ne plus la laisser s'échapper.

Ne plus la laisser m'échapper.

Mais là voilà devant moi. Nous sommes seuls dans cette petite maison que j'appelle mienne. La chaleur qui émane de son corps irradie et réchauffe le mien tant elle se tient proche. Pourtant, ses doigts sont frais à travers le tissu appliqué sur ma coupure. Sans m'en apercevoir, j'ai gardé les miens noués autour de son poignet et peut ressentir son sang pulser sous sa peau fine et blanche. Son parfum me submerge. Son souffle caresse le bas de mon visage et m'étourdit.

Soudain, les étapes de mon plan se mêlent et se confondent. Peut-être que l'ordre dans lequel j'imaginais faire les choses était finalement mauvais. Peut-être ai-je besoin de secouer un peu la routine de mon quotidien pour que tout change enfin.

Et finalement, au diable le plan. En quelques secondes, quelques battements de cœur (le sien sous mes doigts, ou le mien dans ma poitrine, je ne sais pas...) je décide que je ferai absolument tout ce que je voudrai.

Absolument tout ce que je voudrai.

Je prends une profonde inspiration et m'apprête à continuer, m'apprête à tout lui révéler. Comme ça, elle ne veut pas savoir ? Pas savoir pourquoi son absence me rend fou ? Pas savoir pourquoi je ne peux plus la laisser s'éloigner ? Pas savoir pourquoi Echo est partie ? Alors, je vais l'obliger à comprendre.

J'ouvre la bouche, mais elle m'interrompt, encore, et je commence presque à croire qu'elle le fait exprès. Sauf qu'à ce moment là, elle demande :

Est-ce que tu veux un coup de main ?

Je devrais l'ignorer. Je devrais balayer ses mots d'un revers de main, sa tentative de détourner la conversation d'un reniflement dédaigneux. Je devrai la faire taire d'un soupir las, d'un mot ou mieux, d'un baiser. Je devrai être celui qui parle, celui qui s'exprime et qui dit enfin tout ce qu'il a sur le cœur. Sauf que sa question me laisse hébété et figé. Je peine à saisir le sens de sa phrase. Je ne peux que balbutier un trop faible :

Un coup de main ?

— Avec ça, ajoute-t-elle en désignant de sa main libre le couteau qui attend toujours sur le bord de l'évier.

Soudain, je réalise le vrai sens de sa proposition. Oh.

— Oh.

Oh. Et alors, je ne peux plus réfléchir de façon cohérente. J'imagine ses mains sur ma peau. Son corps si près du mien. Son souffle dans mon cou. Des pensées tournent sans fin dans mon esprit, toutes plus impures les unes que les autres. Mon sang se met à bouillir dans mes veines et je suis presque sûr qu'elle peut entendre mon cœur s'emballer dans ma poitrine.

— Ou pas, d'ailleurs, propose-t-elle en prenant mon silence pour de la gêne et mon absence de réponse pour du rejet.

Si je ne la tenais pas déjà, si mes doigts n'étaient pas déjà fermement liés autour de son poignet, je l'aurai saisie pour mieux ancrer mes prochains mots dans son esprit. Pour tenter d'ancrer en elle, au plus profond d'elle, qu'elle n'a jamais à se sentir rejetée auprès de moi, que je lui y ferai toujours une place.

Reste, je t'en prie.

Je réalise à quel point mes mots sont suppliants au moment où ils quittent ma bouche. Je me reprends en observant son regard s'adoucir devant la tendresse de ma voix et déclare, plus légèrement :

Je veux bien un peu d'aide, si ça ne te dérange pas.

Non, ça ne me dérange pas. Pas du tout, annonce-t-elle.

Ma Lame sur ta PeauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant