Prologue

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Quatre avril 2010, il est environ 18 heures. J'attends sur les Champs Elysées. Une centaine d'autres fans, des metalleux surtout, avec leurs bottes cloutées, leur hoodie à l'effigie du groupe et leur maquillage outrancier, ainsi que quelques loligoths aux cheveux rouges ou violets, piétinent sur place devant la FNAC. Nombreux sont ceux qui arborent un T-shirt avec la citation tirée d'une chanson du groupe. Le Haut Tank Top remporte haut la main parmi les filles. La citation est parfaitement ironique, mais elles l'ignorent sûrement.

La sécurité essaie de gérer la masse de fans – ils trépignent tous d'impatience. C'est qu'ils ne s'y attendaient pas vraiment ! Moi non plus, en temps normal, j'aurais eu du mal à y croire, franchement.

La tournée a commencé à l'automne dernier, le groupe respectant leurs délais pour une fois, et elle se déroulait plutôt bien. Les places s'étaient vendues comme des petits pains – certes pas au point d'être sold out en moins de 6 heures dans chaque ville – on parle de Rammstein, là, pas de Metallica – mais quand même ! Malgré le désastre de la vente des places allemandes (ou plutôt, probablement à cause de ce désastre), ils avaient réussi à afficher complet en moins d'une heure dans certaines villes européennes. De plus, les critiques étaient dithyrambiques ; les fans parlaient déjà de se refaire une date sur les forums et les réseaux. En Allemagne, la fanbase était au rendez-vous, créant ce véritable chaos sur leur site officiel, qui avait eu l'exclusivité des ventes en Allemagne – dans le reste de l'Europe, nombreux étaient les nouveaux fans qui se pointaient pour leur tout premier R+ concert. Tout le monde se disait qu'ils allaient enfin cartonner aux Etats-Unis, d'autant plus que le groupe avait vu grand : la tournée devait durer deux ans et demi, passait par les Amériques, l'Asie et l'Océanie, et on parlait même de nouvelles dates en Europe pour l'automne après le concert à Tokyo. Un succès plus qu'honorable pour les Teutons, s'accordent à dire tous les fans présents devant la FNAC.

Or, après le concert à Nantes, le groupe a décidé d'annuler toutes les dates, sans explication – ou presque.

Dans la newsletter du site officiel, on lisait : « pour s'excuser de cette annulation, le groupe prévoit une séance de dédicaces à Paris. » Quelques jours après, c'est Paul Landers en personne qui a fourni de vagues explications. Il avait l'air fatigué, comme s'il n'avait pas dormi depuis des jours : des cernes encore plus prononcés sous les yeux, une mine plus que déplorable. On aurait presque dit qu'il avait passé les quelques minutes précédentes à chialer hors caméra, à moins que ce ne soit que mon imagination. Cependant, la peine qu'on ressent face au désarroi d'autrui a vite laissé place à un plaisir quasi sadique de le voir souffrir à ma place, un plaisir qui me rendait coupable et donc me torturait d'autant plus, un plaisir que je ressens encore en observant les fans aujourd'hui, tous venus pour la même raison, pensé-je : cette curiosité malsaine que j'appréhende malgré moi, qui m'empêche de retraverser la rue mais qui m'a quand même attirée ici – malgré moi.

Je me tiens de l'autre côté de la rue des Champs Elysées, en face de la horde de fans qui attendent à l'entrée de la FNAC. Certains sont arrivés vers midi, voire avant, alors que la dédicace n'est annoncée qu'à 19 heures. Je sais, j'étais là, je les ai vus arriver si tôt. Les passants n'avaient pas tilté. C'est vrai qu'ils ont un look plutôt normal, ceux-là. Puis vers 16 heures, le troupeau s'est agrandi, et les passants ont commencé à se poser des questions. Une vieille mémé m'a même demandé si je connaissais ce groupe,

'Les Rame-stène, ou quelque chose comme ça – ça vous dit quéqu'chose à vous ? Car moi, je connais pas du tout...'

Je me suis tournée vers elle. Elle a vu ma joue. Je lui ai souri. Elle a fait les yeux ronds.

AmaryllisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant