Chapitre XIX - Sombre silence

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Six mois plus tard...

Ce n'est qu'un poème – ce n'est pas ce qu'il pense vraiment. Ce n'est pas ce qu'il pense de moi – ce n'est pas ce qu'il pense de tout ça. Ce n'est qu'un poème...

Il n'était pas arrivé par la poste. C'est Gürt qui me l'a donné dans une enveloppe scellée, sans adresse, en disant qu'un homme était passé pour demander quand je faisais mon numéro.

'Je lui ai répondu que tu étais en congé et ça n'avait pas l'air de le surprendre.'

'Il était petit, cet homme ? Avec des yeux gris-verts, une coupe de cheveux bizarre et un sourir...'

'Non.'

Gürt semblait peiné pour moi. C'est sûrement la déception qui se lisait sur mon visage. Même si je n'avais pas oublié le geste de Paul, même si je répétais ne pas être prête à pardonner, une partie de moi, la part irrationnelle que je congédie si souvent, souhaitait secrètement le revoir. Mais comme toujours avec moi, la part rationnelle, celle qui m'évite l'engrenage de la relation toxique, cette part l'emportait pour me mener bien loin, dans une forêt de solitude bien sombre.

'Non. Il était grand, très large, aux yeux bleus et mal rasé. Un air peu recommandable. C'est la première fois que je le rencontre.'

'Ah...'

'Je suis vraiment désolé pour toi, poulette.'

'Ce n'est rien.'

Sceptique, j'ai retourné l'enveloppe mais il n'y avait rien de griffonné au dos non plus.

'Tu devrais aller le voir – lui montrer sa fille...' a-t-il encore commencé.

Toujours le même sujet – toujours le même silence de ma part.

'...il regrette peut-être mais n'ose pas te le dire, qui sait ?'

Mon mutisme n'est pas une solution ; il me confère un orgueil déplacé sûrement, mais il reste l'unique réponse qui ait encore du sens.

'Je suis sûr qu'il t'aime toujours – c'est juste qu'il...'

'Il croit que je ne l'aime pas, et c'est aussi bien comme ça.'

Ma froideur étonne même mes amis proches. C'est le seul bouclier que j'ai trouvé pour m'empêcher de me liquéfier, de fondre dans la fournaise de ma culpabilité. Voiler mes sentiments derrière ce masque impassible – voilà ce qui m'a toujours sauvé de mes propres folies. Remède radical face à un mal impardonnable dont on croit être l'origine : il m'a frappée ; je l'ai trompé ; il buvait trop ; je le maternais trop – on peut ainsi remonter loin dans un cycle perpétuel de culpabilité. D'ailleurs, suis-je vraiment coupable ? Est-on fautive quand on fait bêtement confiance au mauvais type ? Les questions s'enchaînent ; les réponses sont introuvables. Si mon silence peut m'empêcher de me taillader les veines, c'est tout aussi bien.

J'ai posé l'enveloppe sur la table basse et me suis refait un thé – à peu près tout ce que je peux avaler en ce moment. Myalis somnolait sur mon canapé. Elle ne fait pas ses nuits correctement – elle aspire mon anxiété, me dit Gaïa, meilleure mère de substitution que je l'aurais crue. Elle me la prend les nuits où je ne trouve pas le sommeil à cause de mes crises d'angoisse – ou à cause des pleurs de Myalis, qui pressentent toujours mon mal-être. Les bébés sont très forts pour ça : ils sucent l'anxiété qui transpirent de votre corps à chaque tétée, et leurs cris ne font qu'amplifier cette anxiété – cercle vicieux irrémédiable. Au final, ils comprennent le problème plus vite que vous et refusent de téter. Et une autre culpabilité, celle de ne pas être capable d'allaiter son enfant, s'ajoute au regret qui entoure une absence qu'il ne comprend pas encore mais reprochera toujours : celle du père.

AmaryllisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant