Chapitre VI - Le détective

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Trop, c'est trop. J'ai besoin d'en avoir le cœur net.

Depuis que Till s'est approché de Paul en le reniflant comme un chien et lui a sorti cette remarque étrange : « Tu t'es planté de gel douche ce matin, ou quoi ? On dirait que t'as piqué celui de ta fille, » Paul lui répondant après avoir hésité une demi-seconde de trop selon moi : « Tu vas rire, mais en fait, je crois que c'est celui de Thomas que j'ai utilisé ! » j'ai l'impression que Paul nous cache quelque chose. Je ne suis pas tombé dans le piège de la boutade. Tout le monde s'est mis à rire, Regina la première. Mais moi, je ne me laisse pas prendre au jeu. Paul a changé récemment. Il est différent. Il est moins disponible. Il répond moins souvent au téléphone. Il est rarement chez lui. Il est moins bavard concernant ce qu'il fait de ses journées mais il est redevenu bavard pour sortir des blagues bidon comme avant. Et je veux savoir pourquoi.

Regina croit que je me fais des films.

'Une double-vie ? Paul ? Voyons ! qu'est-ce que tu racontes, Chris ?'

'Je te le dis : Paul se comporte bizarrement depuis un certain temps. Il a radicalement changé. T'as pas remarqué qu'il a souvent la tête ailleurs ?'

'Oui, mais ça fait quatre ans qu'il est comme ça, tu sais... Le pauvre...'

'Non, non ! Je te dis, la tête ailleurs, oui, mais pas comme d'habitude : là, il n'a pas la tête ailleurs comme s'il ne pensait à rien. Là, on dirait qu'il pense à autre chose.'

'Selon moi, ça revient un peu au même...'

'Je te dis que non. C'est pas pareil. Il y a quelque chose qui le préoccupe. Ça se voit. D'habitude, il se fout de tout... Là, il est différent. Il a changé.'

'Allez ! Chris, viens te coucher...'

'Tu ne vois pas ce que je veux dire ?'

'Là, je vois que mon mari préfère s'en faire pour son ami plutôt que venir me faire un câlin. Je ne vais pas me plaindre, c'est vraiment gentil de ta part – mais tu sais que Paul ne veut pas qu'on l'aide. Tu as déjà essayé, et ça n'a jamais marché.'

'Oui mais... j'ai peur qu'il nous cache quelque chose de grave, tu comprends ? Imagine qu'il...qu'il ait une maladie grave ? Ou...je sais pas...qu'il...'

Je secoue la tête en réfléchissant. Si ce n'est pas une maladie, ce serait quoi ?

'Chris... Viens te coucher ! Tu as déjà passé la journée à te poser des questions et ce n'est pas ce soir que tu trouveras la solution.'

Je vais me coucher auprès de ma femme, mais je ne peux pas m'en empêcher : au lieu d'aller l'embrasser, comme elle s'y attend sûrement, je me triture la cervelle. Et s'il avait un cancer ? Avec toutes les clopes qu'il se fume maintenant, il bat le record de Richard, c'est certain. Oh ! mon Dieu ! Un cancer des poumons ! ou de la gorge ! Il ne peut quand même pas me cacher un truc pareil. Je suis son ami ! Il me l'aurait dit si c'était ça...

***

Le lendemain, je décide d'aller le voir. Mais cette fois, je change de tactique. Je me rends chez lui en voiture et me gare dans sa rue, puis je l'appelle. Quand il décroche, je lui demande les trucs habituels : si ça va, si je peux passer. Il me dit qu'il est dans la salle d'attente de son dentiste, qu'il ne sait pas combien de temps ça prendra. Je lui dis que ce n'est pas grave, que je passerai le lendemain. Je raccroche et j'attends.

Il y a plusieurs choses qui m'ont mis la puce à l'oreille. Déjà, il se laissait vachement aller depuis des années et hop ! du jour au lendemain, il recommence à faire attention à la manière dont il s'habille, il se teint de nouveau les cheveux en brun, il se met du crayon sous les yeux comme avant. Quand il répond au téléphone, ce n'est plus un Allô morne qu'il sort mais un Coucou enthousiaste. Et quand il ouvre sa porte, ce n'est plus l'odeur d'alcool et de renfermé qu'on sent chez lui – c'est celui d'un parfum frais, comme s'il sortait tout juste de la douche. Mais attendez, ce n'est pas ça le pire ! Le pire, c'est qu'il s'est mis à faire le ménage chez lui – Paul qui est pourtant le mec le plus désordonné que je connaisse ! Il a rembauché la bonne qu'il avait virée et a cessé de répandre ses chaussettes et ses canettes un peu partout...

AmaryllisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant