Chapitre VIII - L'incident

67 6 0
                                    


Ce bonheur semble comme permanent. A l'aéroport de Toulouse, je suis toujours aux anges, saisissant la main de Paul dès que ses doigts s'approchent des miens, me mettant sur la pointe des pieds dès qu'il se baisse pour m'embrasser. Même quand je présente Paul à ma famille, fêtant mon vingt-septième anniversaire avec eux, je suis heureuse de les voir accueillir Paul avec le sourire, malgré l'impossibilité de communiquer avec lui, la plupart d'entre eux ne parlant pas anglais ou allemand – ce qui est l'occasion de bons gros fous rire entre ma fratrie et celui que je peux désormais désigner comme mon « copain » même si le terme me paraît si peu approprié ; malgré son âge, aussi, puisque je n'ai pas besoin de leur expliquer que Paul « fait partie d'un groupe de metal que j'aime bien » pour qu'ils devinent l'écart générationnel entre lui et moi, en plus de la différence de milieu. Je me dis que ma famille a fini par comprendre que j'allais soit finir vieille fille, soit me trouver un homme bien plus âgé que moi, à des années-lumière de mon monde ; et ils ont appris à accepter la seconde éventualité encore plus vite que moi. Même si, avouons-le, reconnaître le même Paul qui figurait sur les posters de ma chambre d'ado fait ciller un de mes frères, mais son ton sceptique n'est que passager. Globalement, toute ma famille accueille Paul avec joie, se réjouissant surtout de me revoir heureuse, bel et bien sortie de dépression.

Seul plane le spectre d'un petit incident. J'avoue que pendant l'escale à Paris, j'y ai pensé – j'étais en face du miroir des toilettes, en train de me laver les mains, et je me mordais les lèvres tout en regardant mon ventre plat enveloppé dans ma robe jaune, comme une jeune ado qui vient d'avoir ses premières règles au collège et dont la meilleure amie a choisi d'être absente ce jour-là.

Nous n'avions pas utilisé de préservatif.

Or, je n'avais pas emporté mon petit calendrier dans mes bagages, donc je n'avais aucune idée du point où j'en étais dans mes cycles, et comme souvent dans ces situations, on ne se souvient jamais de la dernière fois où on a eu ses règles. On réfléchit ; on se triture la cervelle. Mais rien n'y fait. Impossible de s'en souvenir. Je me dis qu'une fois arrivée à Toulouse, je courrai dans la première pharmacie ouverte pour aller me payer la pilule du lendemain – inutile de faire un test de grossesse en avance : il risquerait d'être un faux négatif et ne me procurerait qu'un soulagement chimérique. La pilule donc avalée en vitesse à l'hôtel, je décide de ne plus y repenser pendant deux semaines – passé ce délai, j'aurai de quoi m'inquiéter, mais pour l'instant, je fais comme si je vivais la vie en rose.

C'est ainsi que s'écoulent les deux semaines en question, dans la joie et la bonne humeur. Paul a réservé l'hôtel, mais nous finissons souvent chez l'une de mes sœurs, au hasard des invitations à dîner. Paul a loué une jolie BMW noire qui a tapé dans l'œil de mon frère fan de mécanique, ce qui nous permet de jongler entre les différents villages midi-pyrénéens où ma famille et mes proches se sont éparpillés. Mes nièces s'amusent à jouer quelques tours à Paul, qui a l'air de se sentir bien plus à l'aise dans ma famille que je ne l'espérais.

Un soir, alors que nous dormons cette fois dans le grenier fraternel, je questionne un peu mon Paul, et il me sort :

'Non, elle est rigolote ta nièce !'

'Je vais quand même lui dire d'arrêter de te taquiner – à presque vingt ans, il faudrait qu'elle arrête de se comporter comme une gamine.'

'Quoi ! t'es jalouse de ta petite nièce, c'est ça ?'

'Moi ? Jalouse ? Attends, mais ça, c'est juste une once de la jalousie dont je peux faire preuve !'

'Ha-ha-ha ! Crois-moi, tu n'as pas de quoi être jalouse,' me murmure-t-il en caressant mes boucles brunes et rouges.

AmaryllisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant