Sous les néons (Tome 1)

CHAPITRE 5 : Angoisse abîmé

Présent

-Bon dieu, comme on se les gèles ! Je te jure c'est à peine si j'arrive à sentir mes doigts là !

Charline quitte ses gants, tout en frottant ses mains l'une contre l'autre. J'imagine sans aucun doute que ce geste a pour but de la réchauffer. Ses dents qui claquent de temps à autres témoignent de la froideur hivernale qui semble s'être installée dans la région. Je suis d'ailleurs très heureuse d'avoir emporté plus tôt dans la journée, mon écharpe. Sans cela j'ignore l'état dans lequel je serais en ce moment-même...

Nous nous approchons alors du comptoir et commandons chacune un café. En espérant que cela diminue l'impression de perdre nos membres un à un... Il ne manquerait plus que nous mourions de froid maintenant, sans même avoir eu le temps de faire plus ample connaissance...

Dès notre entrée, j'ai la ferme impression que Charline connaît plutôt bien celui qui s'occupe de nous préparer les boissons. Elle le tutoie sans grande hésitation et lui demande comment il se porte, de la manière la plus détendue qui existe. Il me paraît jeune, alors il n'est pas impossible qu'ils soient amis. C'est même sans doute le cas, d'un point de vu extérieur. Je l'entends même le complimenter sur sa nouvelle coupe de cheveux, qui soit disant passant n'est pas différente de celles que la majeure partie des hommes s'entêtent à acquérir.

Charline m'a entraîné dans un café/bar appelé « Le Sans Sujet ». Lorsque j'ai vu le nom j'ai directement supposé que c'était une mauvaise blague... Comme ci la vie voulait encore plus se moquer de moi et m'humilier davantage. —Parfois, lorsque je suis dépassé par ma parano, je m'imagine être la star d'une télé-réalité et dont le but serait de voir combien de temps j'arriverai à tenir sans faiblir de trop.— Mais en ce moment même, je ne peux me retenir de supposer qu'il ne s'agit là que d'un indice sur la suite possible des événements. Et au fond de mon cœur, je prie pour que la donne s'inverse, au moins le temps d'une journée. J'espère juste avoir une chance. Et je pense par ailleurs, mériter un peu de répit pour toutes ces années de souffrance continuelles.

J'ai tant l'habitude d'être rejeter par autrui, et aujourd'hui la chance pourrait bien me sourire enfin. Peut-être que quelqu'un là-haut —si bien-sûr il existe— aurait quelque chose à se faire pardonner.

-Tu connais le serveur ? Demandais-je en soufflant sur mon café, bien trop chaud pour le consommer dans l'immédiat.

Elle me fait un sourire un peu crispé, comme si ce garçon l'intimidait particulièrement. Je n'y ai pas songé une seule seconde, mais il est plausible qu'ils soient proche, voir même plus que de simple amis. À notre âge il est commun de voir des jeunes travailler dans des bars, ou dans le supermarché du coin. Alors l'idée d'une possible relation est à envisager. Et puis quand bien même il aurait été plus âgé qu'elle, de nos jours beaucoup de relation amoureuse y sont confrontées. Je trouve d'ailleurs si dommage qu'elles ne soient pas assez acceptées et reconnues.

-Oui, on vient souvent ici avec ma bande de pote avant de sortir en boîte. Donc à force, oui, on a fait un peu connaissance. Il faut dire que l'alcool ça facilite la conversation. Me dit-elle en riant.

Je ris avec elle et c'est alors que je me rend compte que cela faisait une éternité que je n'avais pas partagé ça avec quelqu'un. Rire est un fait commun, un effet émotionnel naturel quand on y pense ; or lorsque vous vous appelez Cora Malau, le rire devient semblable à une pépite d'or : symbole de richesse, mais d'une grande et terrible rareté.

Malgré ce sentiment qui semble m'envelopper avec beaucoup de douceur, je me sens un peu à l'écart. Je ne connais rien de ce genre de vie. Sortir, boire de l'alcool, se faire des amis... C'est quelque chose que je n'ai pas eu l'occasion de vivre, surtout ces derniers temps. Je suis seulement devenue une grande experte en série télévisée. Dans tous les autres domaines je suis de loin, la plus ridicule qui soit. J'ose croire qu'il n'est pas trop tard pour un peu de changement, car j'en aurai bien besoin.