*Chapitre 14*

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Dans les deux semaines qui s'écoulent entre la découverte du corps par la police et les funérailles de Clara, tout n'est que vagues insoutenables de chagrin, succédant à des périodes d'incrédulité ou d'apathie. Maman et moi nous déplaçons d'une pièce à l'autre, malheureuses et incapables de rester en place. Des tasses de café à moitié bues et des assiettes laissées avec de la nourriture à peine grignotée traînent sur les bureaux, les tables basses et par terre, à côté du canapé. Le ménage n'a aucune importance. Supporter chaque minute de chaque heure qui passe, c'est ma seule considération. Ça me prend déjà toute mon énergie.
Je vais voir Linda, qui me détaille le processus de deuil. Elle me l'avait déjà expliqué avant, lors de la mort de papa, mais cette fois, elle insiste bien sur la culpabilité du survivant. Elle me recommande de ne pas craindre la douleur extrême, car je dois m'autoriser à ressentir les choses, aussi horribles qu'elles soient.

Ce que je ressens, c'est une tornade qui me déchire. Une tristesse dévastatrice, emportant tout sur son chemin, une colère indescriptible, un culpabilité hors du commun, et de l'anxiété. Toutes ces émotions alternent avec quelques rares périodes de calme, et parfois rien. L'épuisement, lui, est toujours présent.
Maman et moi nous habillons pour les funérailles. Je choisis une petite robe noire que Clara adorait, à laquelle j'ajoute des collants noirs. Maman porte un tailleur noir. Pendant quelques minutes dans la voiture, nous échangeons des banalités sans importance, mais bientôt le silence se fait dans l'habitacle : nous redoutons toutes les deux l'heure qui va suivre.

La cérémonie se déroule dans une immense salle de sport. D'après notre proviseur, d'autres lycées voudront peut-être s'impliquer pour montrer leur soutien. Quelle belle connerie. Le lieu a donc été choisi pour sa taille. La famille de Clara n'est pas croyante, mais ça fait quand même bizarre de se retrouver dans un lieu comme celui-ci pour des funérailles.
Je me dirige avec maman vers l'avant de la salle. Nous sommes en avance, et pour le moment seule la famille de Clara est présente. Nous nous asseyons silencieusement quelques rangées derrière eux. Il y a grand écran qui affiche une photo d'elle. Ses cheveux lisses et brillants lui descendent au-dessous de la poitrine, et elle regarde droit vers l'objectif en riant, la tête légèrement inclinée. Je ne connaissais pas ce cliché. Elle est parfaite dessus. Comme toujours en fait. Son visage parfait est capturé pour l'éternité dans un pur moment de bonheur. Sur un présentoir argenté repose un cercueil blanc encadré de fines lignes dorées et parsemé de roses. Elle est là, juste dans cette boîte. Je la regarde sans pouvoir en détacher les yeux. J'ai envie d'ouvrir le cercueil pour vérifier que c'est bien elle, qu'il n'y a pas d'erreur. Et si c'est elle, je veux la toucher une dernière fois, lui dire que je l'aime du plus profond de mon cœur, et lui demander pardon. Maman me serre la main, ce qui me fait sursauter ; de grosses larmes jaillissent de mes yeux.

La salle se remplit au fur et à mesure. La famille de Clara n'a pas bougé depuis notre arrivée. Ils sont immobiles, dos aux arrivants. Dos à moi. Ils n'accueillent personne et les autres ne les approchent pas. C'est tellement douloureux de voir leur chagrin, de connaître leur perte... et de me sentir exclue. J'aurais voulu faire un discours au nom des amis de Clara, mais personne ne m'a sollicitée. Mr. Cross, le proviseur, est le seul du lycée à parler. Je cherche du regard Alex et Riley, et les aperçois avec Nathan, vers le fond de la salle. Je ne leur ai pas beaucoup parlé depuis la découverte du corps de Clara. J'ai ressenti le besoin d'être seule.
Tout a changé et je ne peux pas imaginer que nos relations puissent être rétablies un jour.
Maintenant, la salle est vraiment pleine et la cérémonie commence enfin. La transpiration ruisselle le long de mon dos, et ça se voit à travers ma robe. Les discours sont loin d'être une ode à la vie de Clara. Ce sont des paroles amères qui sont prononcées. Personne ne prétend qu'au moins elle ne souffre plus, ou qu'elle a vécu une longue vie heureuse et bien remplie. Sa mort a été brutale et incompréhensible. Les personnes qui prennent le micro ont des mots scandalisés, incrédules. Indignés, durs et dérangeants.

Lorsque les discours se terminent, il est temps de transporter le cercueil. Je ne connais aucun des six hommes qui s'en chargent. Laura, Marc et Cindy vont mener la marche derrière, et c'est la première fois que je vois leur visage. Laura et Cindy émettent de petits gémissements réguliers. Des larmes coulent le long des joues de Marc. Je cherche le regard de Laura, mais elle fait mine de ne pas me remarquer en passant près de nous. Les voir ainsi transforme la salle en un concert de pleurs bruyants.
Maman et moi nous accrochons l'une à l'autre telles des bouées de sauvetage en suivant la foule. A la porte, nous sommes accueillis par une marée d'uniformes scolaires. Des milliers. Notre lycée, celui du bout de la route, d'autres uniformes dont celui de Botany Downs, où Bryan Cooper prétendait être scolarisé. Les élèves formes deux rangées, se tenant par les coudes, en une immense haire d'honneur. Au centre, d'autres élèves et des adultes , qui portent des pancartes proclamant << T'approche pas de nos enfants >>, << Protégeons nos enfants >>,         << Rends leur liberté à nos enfants >>.
Des messages à l'assassin de Clara. J'espère que ça passera aux infos et qu'il regardera. Qu'il comprenne un peu ce qu'il a arraché au monde. Le corbillard traverse lentement la haie d'honneur, et la famille de Clara suit dans une voiture noire, aux vitres totalement teintées. Le silence de la foule est impressionnant. Les voitures franchissent le portail, et effectuent une petite pause. Je me penche pour apercevoir une dernière fois le cercueil de Clara. La douleur m'oppresse la poitrine, j'ai envie de hurler. Je me précipite vers la voiture pour poser la main sur une vitre. La voiture s'arrête, mais maman m'entraîne en arrière.

- Non, non, non...

Je hurle, encore et encore. Je me prends la tête entre les mains et me balance d'avant en arrière tout en voyant le véhicule s'éloigner et emporter ma meilleure amie, pour toujours. 

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⏰ Dernière mise à jour : Apr 27, 2019 ⏰

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