Prologue

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La patience n'avait jamais été mon point fort. Plus jeune, j'entendais souvent mes parents me dire « Roxanne, sois patiente, ne t'enflamme pas pour un rien , tu vas finir par le regretter». Est-ce que je les écoutais ? Non bien entendu. Cela m'a t-il joué des tours ? Plus d'une fois. Je me souviens encore de Tina Farrelli, clamant haut et fort dans les vestiaires du collège que je rembourrais mes soutien-gorge avec du coton pour qu'ils aient l'air plus gros. Ce jour là, si j'avais suivi le conseil de mes aînés, j'aurais ignoré Tina Farrelli ou cherché à savoir pourquoi cette fille se moquait de moi. Au lieu de cela, je l'ai attendu à la sortie de l'école et après avoir versé du sirop d'érable dans ses cheveux, je l'ai aspergé de plumes et suivi jusqu'à chez elle en imitant le cri de la poule. Totalement stupide mais extrêmement jouissif. La punition n'avait pas été très lourde, quinze jours privée de sorties et de télévision, mes parents saluant la créativité de mon geste.

Mais aujourd'hui, l'ampleur de mon impatience allait probablement me coûter mon boulot. J'avais eu deux jours pour réfléchir à mes actes, me dire que j'aurais dû faire les choses différemment. Mais le bilan de cette longue introspection ponctuée de cosmopolitains, de cookies double chocolat et de tonnes de crème glacée restait la même : nous étions loin d'une simple histoire de moqueries entre filles. Dans cette tragédie romantique digne d'une pièce de Shakespeare, j'étais la femme bafouée qui décidait de se venger. Et quelle vengeance !

Quarante-huit heures plus tôt, j'avais appris que le gentleman que je pensais fréquenter depuis presque un an n'était en vérité qu'un mufle doublé d'un pervers narcissique. Adrian, de son prénom, représentait tout ce que j'aimais chez un homme : grand, blond, des yeux azurs envoutants, une haute stature.... J'avais craqué le jour même de son arrivée, un an plus tôt, au service communication de l'entreprise d'évènementiel pour laquelle je travaillais, Parker & Hamilton. Tom Parker m'avait demandé de lui faire visiter les lieux et lui présenter les différentes équipes. A la fin de la journée, je lui donnais mon numéro. Et à la fin de la semaine, j'acceptais de prendre un verre chez lui, finissant même par y rester pour la nuit. A sa demande, nous nous retrouvions chez lui ou chez moi, afin d'éviter de croiser des collègues et faire naître des ragots sur notre lieu de travail. J'étais éperdument amoureuse mais totalement aveuglée. Nous n'allions jamais au cinéma, en ville ou rarement au restaurant, sauf lors de nos virées à des miles de New-York, où nous ne pourrions pas être vus ensemble. Au bout de six mois, j'avais voulu le présenter à ma famille mais Adrian avait toujours un prétexte : trop de travail, un squash avec des amis, une soudaine crise de mal de dos.... Le jour de l'incident, bien décidée à prendre le taureau par les cornes, j'avais cherché Adrian toute la matinée. Après quelques tentatives infructueuses, sa voix m'était parvenue depuis la machine à café. Je me précipitais pour arriver à l'intercepter quand d'autres éclats de voix se mêlèrent à la sienne. Je tendis l'oreille et ce que j'entendis me cloua sur place : Adrian était en train de leur raconter la magnifique demande en mariage qu'il avait fait à sa fiancée, sur la chanson qu'elle préférait, dans un cadre romantique et devant des dizaines de convives. Sa. Fiancée. Je me sentais trahie et surtout stupide de n'avoir rien vu. A ce moment précis, la colère s'empara de moi et quand je pénétrais dans son bureau pour lui demander des explications, sa réponse acheva de transformer la colère en fureur incontrôlable. Oui, il était en couple depuis trois ans, fiancé depuis un et moi dans l'histoire, j'étais, pour reprendre ses propres mots, son délicieux petit à côté, sa bouffée d'oxygène sensuelle quand sa vie devenait trop monotone. Ecoutant la petite voix dans ma tête qui m'avait ordonné de ne pas faire de vagues, je tournai les talons et commençai ma sortie, la tête haute mais serrant les dents pour ne pas lui faire le plaisir de craquer. Mais Adrian n'avait pas su se taire, me gratifiant d'un « je compte sur toi pour ne pas l'ébruiter, ma fiancée vient d'une grande famille influente. Mais je garde ton numéro, ma jolie... » Et malheureusement pour ma conscience, le mode furie activé ne laissait place à aucun bon sentiment. En dix minutes, j'enlevai mes chaussures, me jetai sur lui, collant au passage un de mes talons dans sa tronche de cake. Je ravageai également son bureau, taguant ses vitres au rouge à lèvres de mots divers, certains commençant par CO et finissant par NARD. Et je finissais en beauté, laissant un message vocal à sa « fiancée » pour lui expliquer qui j'étais et surtout qui était son futur mari.

Et me voilà, assise dans le bureau du grand patron himself, attendant comme un révolutionnaire que le couperet tombe. Tom me tira de ma torpeur en claquant la porte derrière moi.

- Et bien, Roxanne, on peut dire que tu as provoqué une sacrée merde !

Aie ! Tom avait utilisé un mot vulgaire, il devait être sacrément remonté. Ce quadra bedonnant, au vocabulaire aussi irréprochable que les grands airs qu'il se donnait, me fixait, les mains jointes en une sorte de prière que lui seule semblait connaître. Seigneur tout puissant, pardonnez les péchés de cette créature assise devant moi, Amen !

Cette idée me fit sourire, ce qui n'échappa en rien aux yeux de faucon de mon patron.

- Tu as l'air de trouver la situation amusante. Adrian a une fracture de la pommette, son bureau ressemble à un champ de ruines et son futur beau-père, un de nos plus gros donateurs, ne cesse de me téléphoner pour savoir qui est la folle furieuse qui a incendié sa fille sur son répondeur. Pour ma part, il n'y a rien de drôle là-dedans.

Il marqua une pause. Je baissais les yeux, prête à entendre le verdict. Tom poussa un long soupir et reprit.

- Je devrais te virer pour ça, Roxanne. Mais tu es un excellent élément et tu ne mérites pas de voir une carrière prometteuse se terminer à cause d'une histoire de fesses sans intérêt.

J'avais envie de hurler. Une histoire de fesses sans intérêt qui a quand même duré quelques mois. Mais ne souhaitant pas aggraver mon cas, je ravalais ma remarque et le laissais poursuivre.

- Après mûre réflexion, j'ai décidé de te transférer chez une connaissance à moi qui possède également une agence . Il a besoin d'une chargée d'évènementiel et je lui ai vanté ton travail. Il était conquis et accepte que tu rejoignes son équipe.

Finalement, j'allais échapper à la grosse punition. Un transfert, ce n'était pas la mer à boire, il y avait tellement de boites d'évènementiel sur New-York et alentours. Je me levais, prête à remercier chaleureusement Tom quand ce dernier jeta un véritable pavé dans la mare.

- Dernières choses : d'une part, je te serai gré de ne pas ébruiter ton exploit. Même si tu as du talent, tu pèses peu face à Adrian et nous démentirons toujours ce que tu pourrais dire. D'autre part, la fiancée d'Adrian nous a fait savoir qu'il était vraiment choqué par ce qu'il s'est passé. Pour qu'il puisse guérir et se remettre de ce traumatisme, il vaudrait mieux que vous ne vous croisiez plus. Ton transfert se fera donc à Dublin. Tu pars pour l'Irlande dans deux semaines et cela reste non négociable. Nous en avons terminé. Tu peux passer récupérer tes affaires dans ton bureau, je te ferai porter ton chèque avant ton départ.

Complètement sonnée, je serrai mécaniquement la main que me tendait Tom et lui adressait un sourire de complaisance quand il me souhaita bon voyage. Tel un zombie, je vidais mon bureau puis me dirigeais vers le parking. Je montais dans la voiture, attachais ma ceinture et après quelques minutes de trajet, je retrouvais la quiétude de mon appartement. Laissant tomber mes affaires sur le sol, je m'effondrais dans le canapé et sanglotais des heures durant. Quand je finis par me ressaisir, j'attrapais mon téléphone et composais le numéro de mes parents. Ma mère décrocha à la troisième sonnerie.

- Coucou ma chérie. Tout va bien ?

Je pris une profonde inspiration.

- Hey Maman, tu ne vas jamais le croire mais j'ai eu une promotion. Je pars pour l'Irlande à la fin du mois !


An irish love (En Réécriture )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant