Il parla même de certaines histoires de famille dont le jeune homme n'avait cure. William en vint presque à se demander s'il n'avait pas oublié de lui présenter des enfants.
François alla chercher ses quatre plus jeunes sœurs à la gare.
Elles l'attendaient à l'entrée.
Louise, six ans, aurait couru à la voiture si Madeleine ne l'avait pas retenue par le col de sa robe juste à temps. La petite se mit à hurler le nom de son frère en tendant désespérément les bras vers lui alors qu'il faisait son possible pour les rejoindre au plus vite afin d'éviter le scandale. La petite finit par s'échapper de l'emprise de son aînée et courut à lui. Il saisit sa petite sœur à bout de bras, la fit tournoyer dans les airs alors qu'elle éclatait de rire avant de la caler sur son côté.
– Alors, princesse, comment vas-tu ? lui demanda-t-il en lui tapotant le bout du nez.
– Comme une fleur au bord d'un ruisseau, lâcha la petite d'une voix fluette.
François leva les yeux au ciel.
– Je vois que la poésie fait partie des cours de cette année.
Elle secoua sa petite tête blonde bouclée avec un sourire angélique.
– Non. C'est un monsieur qui a dit que j'étais jolie comme une fleur au bord d'un ruisseau.
François embrassa Madeleine sur le front.
– J'espère qu'il en a dit autant de tes sœurs.
Ses grands yeux bleus brillèrent de malice.
– Nan ! Rien qu'à moi.
– Canaille ! lui lança François en lui chatouillant les côtes. Et toi, Madeleine ? Comment s'est passée cette année ?
Cela faisait dix mois depuis les dernières vacances qu'il ne les avait plus vues. Pas même à Noël.
Madeleine dévisagea son frère avant de répondre. Il avait encore changé. Chaque fois qu'il partait en mission, l'armée le changeait. Du haut de ses vingt-cinq ans, il avait été promu capitaine de sa division. Mais ce n'était pas ça qui avait changé. À chaque retour il paraissait moins jeune et ses traits se durcissaient. Son regard perdait de son éclat d'innocence pour se trouver voilé par les horreurs que lui offrait la guerre.
Madeleine, à 13 ans, avait l'âge de comprendre la passion de son frère pour servir ce qui lui semblait juste mais jamais elle n'arriverait à se résoudre au fait qu'un jour, il ne reviendrait peut-être pas. Refoulant ses larmes, elle parvint à parler, une boule dans la gorge.
– J'ai réussi. Je passe dans l'année supérieure.
Elle se sentit soulagée et se félicita que sa voix n'ait pas flanché.
François la complimenta puis porta son attention sur ses deux autres sœurs qui approchaient un peu plus lentement. Charlotte avait glissé un bras sous celui de sa sœur et souriait à son frère à pleines dents.
À 17 ans, Charlotte avait toujours des allures de garçon. Pourtant habillée d'une robe féminine et de légères ballerines, tout dans sa dégaine, ses expressions et ses humeurs trahissait un caractère fort, dynamique et protecteur. Elle était très proche de son ainée de deux ans, Térésa. C'est elle qu'elle avait le plus prise sous son aile. En effet, la jeune Térésa, aveugle, avait besoin d'aide, peu importe ses déplacements à l'extérieur. Charlotte et Térésa étaient presque tout l'une pour l'autre. Charlotte aidait Térésa, Térésa était toujours là pour Charlotte lorsqu'elle en avait besoin.
Quant à Térésa, François ne put s'empêcher d'admirer une nouvelle fois le changement qui s'était produit chez elle. Elle avait de moins en moins l'air d'une aveugle. Lorsque quelqu'un parlait, elle parvenait à accrocher son regard sans le voir et elle arrivait à éviter des personnes qui se mouvaient autour d'elle.
– Bonjour, ma belle, lança-t-il à Charlotte en embrassant ses cheveux. Réussi ?
– Je passe en terminale, annonça fièrement Charlotte.
– Et toi, Tess ?
Il fut heureux de pouvoir à nouveau croiser le regard de sa sœur. Elle sourit.
– Fini. J'ai mon diplôme. Plus de pensionnat pour moi.
– Génial ! Bon, tout le monde est là ? Madeleine, donne-moi la valise de Louise, tu veux ?
Elle obéit et suivit son frère jusqu'à la longue camionnette.
À chaque retour du pensionnat se suivait alors toujours la même scène : Louise exigeait d'aller devant pour être à côté de son frère ou de son père. Et pendant que Térésa tentait de lui expliquer qu'elle était trop petite, Madeleine et Charlotte se disputaient la place du passager.
Alors, François, de sa voix de capitaine, trancha : tout le monde derrière. Et pendant la demi-heure de trajet, Madeleine et Charlotte boudaient dans leur coin, Térésa s'imprégnait de l'air de la campagne tandis que Louise s'assoupissait, bercée par une chanson que fredonnait François.
Ils arrivèrent à la maison en début de soirée. Leur père, assis en compagnie de William sur un banc sous une fenêtre de la façade, se leva dès qu'il aperçut la camionnette. William l'imita mais resta à une certaine distance des retrouvailles. Ce genre de chose, ce n'était pas pour lui.
Charlotte, qui allait lâcher une injure à l'adresse de Madeleine, se ravisa tout à coup, apercevant William.
– Bon sang, s'exclama-t-elle.
Térésa sursauta, se redressa, aux aguets.
– Quoi ?
– Oh, la vache, Tess, je te plains de ne pas pouvoir le voir. Il est super beau, ce gars.
– Qui donc ? s'impatienta Térésa.
– Ha je ne sais pas. On ne le connait pas. Il a des cheveux noirs, une large carrure, une taille fine. Je ne sais pas quoi dire d'autre mais il est beau comme un dieu. Et puis ses yeux ...
Térésa soupira en ouvrant sa portière. Sa sœur n'aurait jamais la chance de voir comme un aveugle, voir ce que sont vraiment les gens, leur beauté intérieure, ce qu'ils cachent vraiment au fond d'eux. Charlotte lui prit le bras tandis que Madeleine réveillait doucement Louise.
François marcha directement à son père, le serra de toutes ses forces. Bien qu'il l'ait vu en venant chercher la camionnette un peu plus tôt dans la journée, il avait toujours besoin de sentir la présence de son père.
Louis Savarin savourait le bonheur du contact avec son fils après autant de temps. Ce fut la petite dernière tirant sur une de ses bretelles qui le fit s'en éloigner.
– Bonjour mon ange, dit-il en la prenant dans ses bras. Toujours aussi belle !
Il embrassa ensuite Madeleine qui se colla à lui dans un câlin. Charlotte déposa un baiser sur la joue de son père mais Térésa ne broncha pas, soudain tétanisée à l'idée qu'un inconnu assiste à autant d'amour échangé. Qui était-il ? Que venait-il faire chez eux ?
William observait la scène à l'ombre, une épaule appuyée contre une poutre soutenant la tonnelle où grimpaient les vignes.
Même s'ils venaient de la même famille, ils étaient tous différents. Le plus grand, costaud et altier, devait être le militaire dont lui avait parlé Louis, à voir la tenue de terrain qu'il portait. Il avait le crâne rasé, le teint bruni par le soleil et le vent, son regard bleu et dur trahissait la rage et la dureté des combats.
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Cet été-là
RomanceWilliam est un jeune homme au physique charmeur, au sourire enjôleur, jouant sur son paraître pour se faire aimer. Ses parents ne le supportent plus et l'envoient chez les Savarin, une famille aux valeurs simples. Mais que faire lorsqu'en arrivant...