Partie 10 - Un dimanche chez les Savarins

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Le lendemain, William rêvassait encore lorsqu'à huit heures, la porte de sa chambre s'ouvrit dans un grincement lent et exaspérant.

La petite Louise trottina jusqu'à son lit, secoua son bras. Il grogna, ouvrit un œil.

– Debout, dit-elle. Le petit-déjeuner est servi.

Elle sortit aussi vite qu'elle était entrée.

Il pivota sur lui-même et enfonça son visage dans son oreiller. Tout ce dont il rêvait là tout de suite était de pouvoir se réveiller de ce cauchemar.

Au bout d'un moment, la politesse voulant qu'il était mal venu d'ignorer ses hôtes, il finit par se glisser dans un short couleur sable et un T-shirt blanc. Il passa un peigne dans ses cheveux, se rinça la bouche et après avoir offert un sourire séduisant à son reflet, il descendit dans la cuisine.

Charlotte et Madeleine étaient occupées à dresser la table. Elle lui sembla plus longue que la veille. Térésa coupait le pain tandis que François installait la petite dernière à table.

– Tu es allée prévenir Papa que le petit déjeuner est servi, boucles d'or ? demanda Térésa.

– Oui. Il coupait du bois. Dis, Tess, tu sais que le pull de Papa est devenu noir ? Il est gris normalement.

La jeune femme, glissant sa main de chaise en chaise pour se repérer, atteignit sa petite sœur et passa une main dans ses cheveux.

– Cela prouve que Papa travaille dur. Si son pull était resté gris, nous n'aurions pas de bois pour cet hiver.

– Et on aurait dû dormir avec les moutons, comme tonton Jules ?

Térésa sourit tandis que Madeleine et Charlotte éclataient de rire, bientôt rejointes par le rire retentissant de François.

– Tonton Jules avait trop bu ce soir-là, dit Louis Savarin de sa voix tonitruante en entrant à son tour.

Apparemment, il avait troqué son pull gris devenu noir contre un marcel blanc. Des gouttes de sueurs perlaient sur son front. Il se dirigea vers l'évier, s'aspergea le visage d'eau glacée et y plaqua ensuite un essuie qui ne semblait servir qu'à cet effet.

– Prends place ici, dit Charlotte à l'adresse de William.

Elle lui désigna une chaise, en face de celle où elle venait de s'asseoir.

Le jeune homme, qui n'avait pas encore ouvert la bouche, observant la famille, se décida à bouger.

– Bonjour tout le monde ! lança-t-il.

Ils le saluèrent en chœur et le repas fut pris en silence, introduit par le bénédicité. Charlotte ne le quitta pas une seconde du regard. Il se sentit décrypté de fond en comble mais il avait confiance en son jugement final : il était sans défauts.

– Tu nous accompagnes à la Messe ? lui demanda-t-elle, alors qu'ils débarrassaient la table.

– Je ne crois pas. J'ai cessé d'aller à la Messe le jour où un prêtre m'a dit que le Bon Dieu me punirait pour mes fautes. S'il est bon, n'est-il pas censé ne pas me punir ?

– Toute faute exige pénitence.

– J'avais huit ans et avait eu le malheur de dire qu'il portait une perruque. Il m'a alors emmené dans un coin, demandé de me mettre à genoux et ordonné de citer toutes mes fautes. À la fin, il m'a reproché d'être insolent et m'a laissé à genoux, récitant des Je vous salue Marie et des Notre Père.

Charlotte le dévisagea, impressionnée et un peu choquée par le récit.

– Tu mens mal, lâcha alors Térésa.

La phrase lança un froid dans la pièce. William se raidit, tous ses muscles tendus. Elle venait de lui couper tous ses effets.

– Tu n'es jamais allé à l'office du dimanche.

Elle avait un fameux sens de l'observation. Ou de l'analyse. Il ne savait quel terme employer.

– Dis tout simplement que tu n'as pas envie d'y aller. Ça nous évitera de perdre notre temps à écouter tes salades, continua-t-elle. Devant Louise en plus...

Jamais il n'avait été humilié de la sorte. Face à un public en plus.

– Térésa, la gronda soudain son père, faisant sursauter l'assemblée tendue. Montes dans ta chambre tout de suite. Tu réfléchiras à ton comportement. William est un invité et tu te dois de respecter ses choix !

La jeune femme déposa sur la table l'essuie qu'elle tenait et d'un pas assuré, monta à l'étage. William ne manqua pas de remarquer le sourire en coin qu'elle arborait.

– Excuse-la, dit François. Elle n'aime pas les gars dans ton genre, un peu marrant et à l'aise dans ses baskets.

– Je vais aller présenter mes excuses, dit William.

– Ce n'est pas la peine, dit Charlotte. Elle a un sale caractère, c'est tout.

Il ignora sa remarque et grimpa à l'étage. Il n'avait déjà pas envie d'être là, il n'allait pas en plus laisser des tensions s'installer dès son premier jour dans cette famille. Et puis, il n'aurait su dire quoi mais quelque chose chez cette fille le dérangeait profondément. Et il détestait qu'on le perturbe. Il jeta un coup d'œil dans chaque chambre. Térésa occupait la quatrième sur la gauche, juste à côté de la sienne.

Assise sur sa chaise de bureau, les mains jointes, le regard fixe devant elle, elle ne semblait penser à rien, comme si ce qui venait de se passer n'avait pas existé.

– Si je t'ai blessée, Térésa, ce n'était pas mon but.

Au son de sa voix, elle s'anima, se leva et se colla contre un mur, les mains derrière le dos.

– Ne t'excuse pas. Je suis juste fatiguée et je m'emporte pour rien.

Voilà qu'elle souriait maintenant. Comment était-il possible de changer d'humeur aussi facilement ? Lui, était toujours frustré.

– Tu sais, je ne suis là que d'un jour et je ne sais presque rien de vous, rien de votre mode de vie, de votre façon de voir les choses, ce que vous acceptez ou pas. J'ai juste voulu faire un peu d'humour.

– Il nous serait plus facile de nous habituer à toi plutôt que toi à neuf personnes toutes différentes les unes des autres. Et il est évident que tu ne t'entendras pas avec chaque caractère de la maison.

Elle sous-entendait clairement que lui et elle, c'était peine perdue pour trouver un terrain d'entente.

Il soupira. Sa frustration n'avait pas disparu le moins du monde. Sa manière de lui expliquer la compatibilité des caractères l'énervait. Elle se comportait envers lui comme envers un enfant. Il tenta de se contrôler.

– Bien, dit-il. Je vais vous accompagner à la Messe.

– Tu n'y es pas obligé, tu sais.

– J'en suis conscient.

Au fond de lui, il savait qu'elle avait obtenu sa soumission mais si c'était le seul moyen de ne pas se faire mal voir, il se plierait à sa volonté.

Il quitta l'étroite pièce sans un mot de plus. Il alla enfiler une tenue un peu plus sérieuse pour la Messe : un long pantalon noir, une chemise turquoise et une cravate noire. Il estima qu'un gilet n'était pas de mise vu la vitesse à laquelle grimpait la température.

Cet été-làOù les histoires vivent. Découvrez maintenant