Me voilà assise seule dans la chambreque je partage désormais avec mes deux cousines. Mes cousins onttous repris l'école aujourd'hui, ma grand-mère se repose tandisque mon grand-père travaille dans son bureau. J'allume leventilateur et je m'allonge confortablement sur le lit. Je savourecomme il se doit ce petit moment de solitude; le premier il mesemble, depuis que j'ai débarqué à l'aéroport de Dakar il y'amaintenant deux semaines. La vie ici est juste incroyable, rien àvoir avec la Belgique. A peine arrivée, les événements se sontenchaînés à un rythme effréné ! Bon gré, mal gré, j'aibien dû rentrer dans la danse et suivre le mouvement. Alors en cettefin d'après-midi, je profite du calme ambiant pour faire une pauseet prendre un peu de temps pour moi. J'attrape une feuille, unstylo, bien décidé à faire le point sur ce début de séjour.
Tout d'abord, un géant que jen'avais jamais vu avant, a foncé d'un pas assuré, droit sur moià l'aéroport. Il s'est présenté comme Ismaël, le mari de lacousine de ma mère. Etonné qu'il soit venue vers moi aussiconfiant, je lui demande comment il m'a reconnu.
-Je suis aussi marabout, m'a-t-ilrépondu. Interloquée, j'ai dû le fixer d'un regard vraimenthébété pour que quelques secondes plus tard, il éclate de rire etme lance joyeusement :
-je rigole, je t'ai maintes fois vuen photo tiens !
Sa blague détendant instantanémentl'atmosphère, je me suis tout de suite sentie à l'aise enprésence de cet homme.
Après avoir joué des coudes pour sefrayer un chemin dans la foule à l'entrée de l'aéroport, noussommes finalement monter dans la voiture d'Ismaël. Bienqu'exténuée par le voyage, j'étais toute excitée d'êtreenfin arrivé à Dakar, au Sénégal ! Pendant le trajet envoiture qui n'a pas dû durer plus d'une quinzaine de minutes,Ismaël et moi avons vaguement fait connaissance en bavardant de toutet de rien: le trajet en avion, la santé de la famille ici et enEurope. J'écoutais d'une oreille distraite, toute mon attentionétait portée par la fenêtre où malgré la nuit noire, j'essayaisvainement d'apercevoir mes premières images de mon nouveau cadrede vie. Ismaël s'étant vite rendu compte de mon manège, s'enamusa. Riant de bon cœur, il me promit que j'aurais tout le tempsde découvrir le pays au cours des prochains mois.
La voiture s'arrête devant une jolievilla, beaucoup plus grande que ma maison de Belgique. A peineentrée, je perçois des voix fortes provenant du premier étage.J'emboîte le pas d'Ismaël et nous montons les escaliers quinous mènent à un petit salon; où discutent ce que je devine êtrele reste de ma famille. Tous semblent ravi de me voir. De mon côté,je suis timide et un peu gênée. J'ai du mal à reconnaître cesvisages, sans qu'ils me soient totalement inconnus. La doyenne dela pièce au contraire, semble me reconnaitre au premier regard. Ellese jette dans mes bras et me serre fort, très fort, trop fort dansces bras. Quelques larmes roulent sur ses joues tandis qu'un largesourire illumine son visage. Elle finit par desserrer son étreinteet j'en profite pour l'observer. Les traits de son visage, cesourire magnifique, ces formes que l'on devine généreuses etparfaitement dessinées drapées dans un boubou traditionnel au milleet une couleur... Elle est belle ma grand-mère. Qu'est qu'elleressemble à ma maman ! C'est ensuite au tour de mes cousinsde m'étreindre tour à tour. Ils ne semblent pas plus déstabilisésque ma grand-mère par le fait que l'on ne se soient pas vu depuisdes années. Tout sourire, ils me mitraillent de questionsauxquelles je tente de répondre tant bien que mal, dans le peu detemps accordé entre chaque interrogation. Ils n'hésitent pas nonplus à se moquer franchement de mon piètre Wolof.
-Vraiment, il va falloir que tuapprennes cousine. Une Sénégalaise qui parle que le français ?!Et pourquoi pas un poisson qui ne sait que voler ! me lanceMoussa, le plus âgés de mes cousins.
Je rigole à ses fausses réprimandeset lui promet de faire un effort pour apprendre cette langue au plusvite. Comme je m'en rendrais compte plus tard, bien que le françaissoit la seule langue officielle du Sénégal, le Wolof restelargement la plus utilisée au quotidien.
Les jours suivants, nous enchaînonsles visites à la famille, aux amis de la famille, quelques virées àla plage; sans oublier les soirées interminables à discuter et àrires pendant des heures avec mes cousins. Malgré cet accueilchaleureux, bien au-delà de tout ce que je pouvais imaginer, mesémotions sont confuses aujourd'hui. Je ne sais pas si je suisvraiment heureuse ici... J'en suis là dans mes réflexions,lorsque claque la porte d'entrée. Une poignée de seconde plustard, ma cousine de trois ans mon aînée, débarque dans la chambre.
-As-salāmu ʿalaykumKumba, Namenala
-waʿalaykumu as-salām Ouleye, ça aété l'école ?
-ça va, mais il faisait encore unechaleur horrible en classe. Et toi, tu t'es pas trop ennuyéeici ? J'espère que tu en as profité pour faire un peu leménage, me lance-t-elle d'un ton qui se voudrait blagueur.
-Ahah tu crois vraiment que j'ai prisle temps de faire le ménage ? je suis trop occupée et en plus,je ne suis pas ta bonne. Je lui réponds, en riant.
-Ahah parce que tu crois vraiment quetu vas habiter ici sans rien ranger ? continue ma cousine, enimitant ma voix moqueuse. Kumba tu es une fille, tu es censé nousaider à ranger... et non pas mettre plus de bazar dans la maison !
-Ok Ouleye, j'aimerais bien t'écoutermais comme tu le vois, je suis trop occupé à me reposer.
-Indisciplinée, c'est comme çaqu'on parle aux aînées en Europe ? Attend un peu que je temontre comment on règle leur compte au sale gamin dans ton genre enAfrique.
Ouleye se jette alors sur moi ets'ensuit une fausse bagarre où le rire l'emporte largement surla douleur.
C'est le moment que choisit monpetit cousin Mohammed pour entrer en trombe dans la chambre encriant :
-Kumba, Ouleye, venez dans le salon !On vient de couper des mangues, elles sont trop bonnes !
-Cool, Allez-y je vous rejoins. Jetermine juste un truc rapidement.
Mes cousins s'échangent un regardétonné.
-Terminer quoi ? me lance Ouleye.
-Je sais pas exactement, je suisentrain d'écrire un texte, puis je voudrais lire un peu.
-Mais Kumba tu feras ça plus tard,viens discuter avec nous. On s'est pas vu de la journée !
-Oui pourquoi tu veux rester seule ?renchérit Mohammed. C'est un truc de toubabça. C'est pour ça après ils font des dépressions.
Mi-interloqué, mi- amusée par ladernière réflexion de mon petit cousin, je me contente de sourireet le suis dans le salon. Je prend place sur le canapé, où mescousins et quelques voisins du quartier sont déjà installés. Nousdiscutons en dégustant ces délicieux fruits juteux et sucrés. Peuà peu, le tourbillon de mes pensées s'apaise. Finalement je mesens bien ici, en tout cas aujourd'hui. Demain, on verra bien.
As-salāmu ʿalaykum: Bonjour en arabe, waʿalaykumu as-salām est la réponse traditionnel à cette salutation.
Namenala: Signifie littéralement, « j'ai ta nostalgie », tu m'as manqué en Wolof.
toubab: Terme utilisé pour désigner l'homme blanc en Afrique de l'ouest
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Made In Senegal
Short StoryCela commence comme une histoire banale d'adolescente tourmentée. Kumba rame pour trouver sa place au sein de cette société insensé. Elle se sent incomprise, entouré de gens insensible. Jeune fille à l'âme rebelle, elle nage à contre courant, jusqu...