Chapitre 9: Exploration et découverte

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Il fait chaud, beaucoup trop chaud ;étouffant. Cela doit faire deux heures environ que notre chauffeurroule tant bien que mal sur les routes cahoteuses sénégalaises.Notre première escale est Mbour, où nous devons récupérer uncousin de BG avant de continuer notre voyage jusqu'à Joal, un petitvillage côtier. Je ne sais pas par quel miracle ma famille a acceptéde me laisser partir. Mais le fait est qu'après de durenégociation, un plaidoyer de ma mère en ma faveur et sans nuldoute, un petit coup de pouce du ciel ; j'ai finalement obtenumon autorisation de sortie : deux semaines entières avec BGdans sa famille à Joal ! Nous allons séjourner chez sesgrand-parents, là où vit également ses cousins et cousines du côtématernel, si j'ai bien suivi son arbre généalogique. Si contenteque j'étais de cette nouvelle, j'en avais oublié à quel pointles longs voyages en voiture était désagréable dans ce pays.Alors, lorsque BG m'annonce que nous arrivons dans le quartier deson cousin, je lâche un vrai soupir de soulagement. Mon ami a aussila bonne idée de proposer un détour par la plage avant de reprendrela route. Nous acquiesçons à cette invitation et en moins de tempsqu'il n'en faut pour le dire, nous voilà bien installéesconfortablement sur le sable fin d'une plage des alentours ;un joint à la main et le regard sur l'horizon. Nous arrivons justeà temps pour assister à un incroyable spectacle. Une foule s'estamassé sur le bord de la plage pendant que des milliers de points decouleur, semblant glisser sur les vagues de l'océan obstinémentagité, se rapprochent peu à peu. Ce sont des dizaines et desdizaines de pirogues, prête à foncer droit sur nous. Des mouettesvirevoltent autour des embarcations des braves pêcheurs quireviennent d'une longue journée de travail, entamée bien avantl'aube. Cette scène, d'une rare beauté, je n'ose pas endétourner le regard une seconde, par peur d'en perdre une miette.

-C'est beau dé ? me lance Ahmedle cousin de BG, devant mon regard admiratif.

-C'est impressionnant, je murmuresimplement le regard toujours fixer sur l'horizon.

-Et cela dur depuis des siècles,continue Ahmed, d'une voix assurée. Notre océan est riche dé !très riche en poisson... ce qui ne peut qu'attirer les requins.Qu'ils viennent de chez toi là, en Europe ou d'Asie ; ilssillonnent nos eaux avec leur énorme bateau et vide l'océan ;ne laissant pratiquement plus rien pour les pêcheurs locaux.Vraiment la vie des pêcheurs sénégalais n'est pas facile...

BG lui rétorque alors quelque chose àpropos de Greenpeace ; mais je n'écoute leur discussion qued'une oreille distraite. Toute mon attention continue d'êtreporté sur les pirogues qui viennent maintenant de débarquer sur laplage. Quoi qu'en dise Ahmed, la pêche paraît bonne aujourd'hui.Chaque embarcation semble déborder de poisson. Des hommes viennentmême au secours des pécheurs pour les aider à décharger leursmarchandises ; des dorades, raies, bars, soles, pour ne citerque cela ; qui s'envoleront bientôt pour les quatre coins dumonde.

-On peut aller les voir ? jedemande soudainement, coupant du même coup leur conversation.

Sans s'offusquer de cette maladresse,BG se lève aussitôt, me tend la main pour que je fasse de même etme répond que nous pouvons non seulement aller les voir, mais enplus négocier quelques tilapias afin de les faire griller pour ledîner.

-chouette je réponds tout sourire;tout en courant vers les pécheurs où la foule s'active autour desembarcations. Au cœur de cette agitation apparente, le scénario estbien rodé et chaque personne effectue avec brio les tâches que sonrôle impose. Les hommes continuent de décharger les bateaux etrangent le matériel. Les femmes trient et écaillent les malheureuxpoissons qui ont eu le malheur de croiser le filet des pêcheurs cejour-là. Les touristes ne savent plus où regarder et prennent desphotos de tout et de n'importe quoi. Les enfants quant à eux,s'amusent et cours à en perdre haleine, sans que leurs parentss'inquiètent de les voir disparaître dans cette marée humaine.BG et Ahmed sont rapidement assiégés par un groupe d'hommes aveclesquels ils se lancent dans d'âpres négociations. Je m'éloigneet me fraye un chemin afin d'inspecter de plus près les piroguesqui m'avaient tant captivées quelques instants plus tôt. Posésur la plage, certaines semblent usées et fragiles. Seulel'expérience et l'habileté sans faille des pêcheurs ; à sules faire traverser cet océan déchaîné, aux vagues parfois trèsviolentes et les mener à bon port. Vieille ou pas, elles dégagenttoutes quelque chose de vraiment jolie; dans leur parure de peintureoù le vert, le jaune et le rouge domine. Chacune constitue un modèleunique, arborant fièrement des drapeaux de différents paysd'Afrique et personnalisée par des dessins, des symboles ou desécrits. L'une d'entre elle attire particulièrement monattention. Elle est entièrement peinte en blanche, avec de fineslignes régulières, vertes jaunes et rouges. Sur le côté gauche,on peut y lire « one love... and welcome to Zion ». Surle côté droit, c'est le visage de Bob Marley et d'un autrehomme nappé de blanc des pieds à la tête ainsi que les mots « Jammrekk »qui forme le décor. Mes deux compères me rejoignent alors. Pointantdu doigt la plus belle des pirogues à mes yeux, je leur confie quec'est celle-là que je choisirais si je devais prendre la mer.

-Comme si les femmes savaient pêcher,se moque Ahmed.

Ignorant les moqueries d'Ahmed, jetourne la tête vers BG et lui demande qui est l'homme représentéà côté de Bob Marley.

- C'est Cheikh Ahmadou Bamba, un trèsgrand marabout et théologien sénégalais qui a vécu pendantl'époque coloniale. Il était tellement sage et respecté, qu'ila créé la ville sainte de Touba ; une ville où il estinterdit de consommer de l'alcool et d'adopter tout comportementnon conforme aux lois de l'islam. C'est aujourd'hui la deuxièmeville la plus peuplé du Sénégal, juste après Dakar. CheikhAhmadou Bamba était tellement puissant et respecté, que lesautorités coloniales le craignaient. Ils l'arrêtèrent etl'exilèrent maintes fois, mais l'homme finissait toujours parrevenir au Sénégal. Lorsque les autorités coloniales eurent enfinaccepté le fait que Cheikh Ahmadou Bamba était un homme pieux etpacifiste ; ils ont alors voulu utiliser son influence pourpérenniser leur emprise sur le peuple sénégalais. Mais CheickAmadou Bamba n'était pas un vendu. Il n'a jamais accepté lalégion d'honneur française, ni l'hypocrisie de l'homme blanc.Il s'est éteint humblement, en restant fidèle à ses valeurs.Aujourd'hui, c'est son petit-fils qui a repris les reines de laville de Touba mais le fondateur, Cheick Amadou Bamba, est toujoursaussi reconnu et respecté partout au Sénégal.

-Waouh je réponds impressionnée, cedevait être un grand homme.

-Un très grand homme, conclut BG.

De retour dans la voiture, nous filonsà vive allure, espérant arriver à destination avant la tombée dela nuit. Je demande à Ahmed de revenir sur son histoire de pêcheur.

-C'est très simple, m'explique BG,devançant la réponse de son cousin. Nos pêcheurs locaux, avec lepeu de moyen dont ils disposent, ne peuvent tout simplement pasconcurrencer la pêche industrielle. Pourtant, notre gouvernement adonné des permis de pêches à d'énormes bateaux, principalementeuropéens. Ces bateaux monstres sillonnent nos eaux et les vident deses ressources, ne laissant pratiquement rien aux pêcheurs locaux.De plus, il pratique la pêche intensive, ce qui menace l'écosystèmeet les habitats marins. A force, notre pays risque d'épuiser l'unede ses seules ressources et sources de revenus pour une grande partiede la population. Pire, nous devrons nous passer de cet héritageancestral que représente la pêche artisanale ; car elle seradevenue inutile.

-C'est vrai dé! confirme Ahmed. Etquand il n'y aura plus de poisson ici, que se passera-t-il ? Lesbateaux monstres iront ravager les écosystèmes d'autres endroitsde la planète tandis que nos pêcheurs seront condamnés à resterici. Et à quoi leur serviront leur pirogue s'il n'y a plus depoisson ? A naviguer jusqu'à l'Europe, à défier la mortdans l'espoir d'une vie meilleur ?

-En tout cas pour le moment, nospêcheurs locaux n'ont pas dit leur dernier mot : ilsmultiplient les manifestations et Greenpeace, l'ONGenvironnementale reconnue internationalement s'est même emparé del'affaire.

-Mais les gars, je veux bien croire quec'est grave si qu'il se passe. Mais alors, comment se fait-il queles pirogues des pêcheurs étaient pleines de poissons aujourd'hui ?

-Je te l'ai dit, nos eaux sont tropriches en poissons, répond Ahmed en rigolant. Mais crois-moi, cequ'ils rapportent maintenant, ce n'est rien par rapport à laquantité et la qualité de leur prise avant l'arrivée des bateauxmonstres.

Nous continuons à débattre vivementtout le long du trajet. Je profite d'un moment de calme dans notrediscussion pour revenir sur un autre fait m'ayant offusqué lorsquenous avons traversé la ville de Mbour, puis celle de Sally : lenombre incroyablement élevé de touristes occidentaux se pavanantfièrement aux bras de tous jeunes sénégalais. Je veux dire,certains devaient à peine avoir mon âge mais cela ne semblaitchoquer personne, sauf moi.

-Et oui, certains touristes ne secontentent pas de nos plages, de leurs luxueux hôtels et du soleil,répond amèrement Ahmed. Et peu importe que l'amour qu'ilss'offrent soit artificielle, tant que ça rentre dans leurs budgetsvacances.

- Mais je suis persuadé que la plupartdes sénégalais désapprouve ces pratiques. Et pour le coup, mêmenotre gouvernement ne doit pas voir d'un très bon œil cespratiques obscènes. Mais tu te rendras vite compte Kumba que dans cemonde, « quand l'argent parle, la vérité se tait »,comme disent nos amis congolais.

la paix seulement

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