Chapitre 7 En route pour la brousse

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-Tata Aïssaïtou on est bientôtarrivé ?

-Kumba pour la dernière fois, la routeest encore longue. Tu peux dormir tranquille car nous sommes loind'être arrivé.

Mon exaspération se traduit par unléger soupir tandis que je repose ma tête sur l'épaule de matante. Ce voyage entamé ce matin est loin d'être de tout repos.Vers 10 heures, ma tante et moi nous somme engouffrés dans un vieuxminibus en direction de la Casamance, la région la plus au sud duSénégal. Après deux heures d'attente, un homme barbu avec un belembonpoint s'est installé à la dernière place du véhicule etnous avons enfin pu démarrer. Quelques jours plus tôt, ma tantem'avait proposé de l'accompagner dans son village natale afin devisiter son marabout. Je m'étais empressée d'accepter cettevirée hors de la capitale. En chemin, j'ai pu admiré des paysagestous plus sublimes les uns que les autres; tandis que notre véhiculenous secouait de manière plus ou moins violente, en fonction de laprofondeur des trous présent sur la route cabossée et très malentretenue. Les maisons et autres constructions aléatoires bâtiesles unes sur les autres ainsi que le brouhaha, habituel dans les ruesdakaroises, a vite été remplacé par d'immenses étendues deterre. J'étais émerveillée par la beauté de ce qui m'entourait.D'imposants baobabs se dressaient des deux côtés de la route.Certains étaient millénaires selon les dires d'Aïssaitou etgrâce à tout ce qu'ils ont vu passer à travers les siècles ;ils ont acquis davantage de savoir que le plus érudit desêtres-humains. J'ai aussi été impressionné par la simplicité,ne venant que renforcer la magnificence des villages que nous avonstraversés. Des hommes et des femmes travaillaient leur champsensembles ; sans beaucoup d'autres outils que leurs mains. Desenfants s'amusaient sur des ânes, couraient à toute allure oudonnaient un coup de mains aux adultes. Nul doute que la vie de ceshommes et de ces femmes ne devaient pas être drôle tous les jours.Pourtant il se dégageait une tel magie dans cette environnement, unetel dignité et sérénité dans les visages que j'apercevais... jeles enviait presque. En tout cas, j'avais la certitude que j'auraispu apprendre mille et une chose de ces personnes, si nous avions eule temps de nous arrêter. Je me rends compte à quel point, mine derien, je me suis attaché au Sénégal au fil des mois. Cette « autrebout du monde », qui ne fait que me réserver des surprises.

En fin d'après-midi, je suissoulagée de descendre du minibus. La chaleur, mêlée à latranspiration, rendait l'air irrespirable à l'intérieur de lavoiture. Nous étions alors en Gambie et il nous fallait embarquerdans une petite pirogue afin de traverser le fleuve Gambie etcontinuer notre route. Excepté l'usage de l'anglais, je n'airemarqué aucune différence notable entre la Gambie, ce minusculepays enclavé dans le Sénégal et le Sénégal lui-même. Commebeaucoup d'autres anciennes colonies africaines, la délimitationde leur frontière résulte davantage d'une volonté politiqueeuropéenne ; que d'une véritable barrière naturelle ouculturelle entre deux territoires. Le sol gambien fût géré par lesanglais tandis que le Sénégal appartenait à l'époque à laFrance : c'est l'unique raison de la présence d'unefrontière entre ces deux territoires. Une fois de l'autre côtédu fleuve, notre chauffeur s'est engagé dans de dure négociationavec un policier Gambien. Son permis de conduire était périmédepuis quelques jours et le policier refusait de nous laisser passer.Après de longues heures d'attente, un accord a enfin été trouvéentre les deux hommes et nous sommes enfin autorisé à circuler.Cela fait maintenant un petit temps que nous avons repris la route.Même si le début du voyage fût agréable; je suis maintenantexténué et j'ai hâte d'arriver. Je lance un regard vers matante et constate qu'elle s'est endormie. Je renonce à laquestionner une nouvelle fois sur notre état d'avancement dans letrajet. Je repose plutôt ma tête confortablement sur son épaule etferme les yeux en quête d'un peu sommeil.

Nous atteignons le village dedestination tôt le lendemain matin, en même temps qu'un généreuxlever de soleil. Le sourire aux lèvres, j'oublie vite la fatiguedevant l'accueil chaleureux qui nous ai réservés. Beaucoupd'habitants sortent pour nous saluer et nous souhaiter la bienvenuesur leur terre. Je ne les connais pas, mais j'ai le droit à lamême dose de poignées de mains, embrassades, câlins, et souriresqu'Aïssatou. Nous déposons nos affaires dans la case du marabout,puis nous nous installons à l'extérieur pour un petit déjeuneren plein air. Je remplis mon ventre d'une traite, avant de filerafin d'esquiver les palabres des adultes. Je me promène dans levillage et constate très vite qu'un tas d'enfants me suit. Jem'arrête et me retourne vers eux : ils rient et discutentmais je suis incapable de comprendre un mot de leur conversation. Matante m'avait expliquée qu'en Casamance, la majorité des gensne parle pas Wolof, ni français, mais Djola, une langue locale queje ne maîtrise pas du tout. Je ne peux donc malheureusement pascommuniquer avec les enfants qui me font face avec des mots. Ce quine nous empêche pas de jouer et de rire toute l'après-midi. Lesmanguiers qui entourent le village regorgent de ce délicieux fruiten et j'en déguste jusqu'à en avoir mal au ventre. Le soirarrive vite et après un très bon repas composé de riz et depoisson, sonne l'heure d'aller se coucher. Il n'y a pasd'électricité dans le village, mais des lampes torches ont étéaccrochés au plafond en guise de lumière dans chaque pièce de lacase où nous dormons. Je suis de toute manière épuisée etm'allonge directement sur le matelas qui compose le seul meuble dela pièce mise à ma disposition pour la nuit. Peut-être est-cecette case, le village où simplement l'ambiance générale de cevoyage mais je constate avec satisfaction le lendemain, que j'airarement aussi bien dormis que cette nuit-là. Pendant le petitdéjeuner, Aïssatou m'explique que le marabout va procéder à une« purification » de ma personne. Je n'ai aucune idéed'en quoi cela peut bien consister mais je doute doute que ceci aiune quelconque utilité. J'aurais mille fois préféré retournerjouer directement avec mes nouveaux camarades mais je n'ose pasrefuser. J'emboîte donc le pas sur ma tante et le marabout dontj'ai encore oublié le prénom. Nous commençons par quelquesprières. Le marabout me tend ensuite une bouteille en plastique,rempli d'un produit brunâtre de sa fabrication. Il m'ordonne deme laver avec, puis de me sécher au soleil. Une case sans toitconstruite à quelques mètres de la maison du marabout fait officede douche. A l'intérieur, j'y trouve du savon ainsi qu'un sautd'eau froide et un gobelet pour me laver. C'est une sensationagréable de me rincer à l'eau fraîche tandis que les rayons dusoleil tapent sur mon corps nu. Une fois pratiquement sèche,j'enfile mes vêtements et cours vers le marabout pour l'avertirque j'ai terminé et que je peux retourner jouer avec les autresenfants. Il m'observe étonné, puis calmement, dans un françaisapproximatif, me demande combien de fois je me suis lavée.

-une fois, je réponds naturellementtout en haussant les épaules.

Le marabout secoue la tête en guise dedésapprobation. Il me fait comprendre que je dois me laver 12 foisd'affilées avec son produit pour que la purification soitefficace. Perplexe, je le fixe droit dans les yeux pendant un quartde seconde. Puis, comprenant qu'il est très sérieux : jeretourne d'un pas traînant à ma besogne que je termine enfinsoulagée en début d'après-midi. Après un repas aussi délicieuxque la veille, toujours composé de riz et de poisson, il est déjàl'heure pour ma tante et moi de rentrer. Je suis triste de quitterce petit coin de paradis ainsi que toutes ces merveilleuses personnesqui l'habitent. Je ne sais pas si j'aurais pu vivre toute ma viedans ce village, mais je serais facilement resté quelques semainesde plus ! Ce court séjour fut si intense en émotion! Je mesens revigorée sur la route du retour.Puis demain s'annonce bien,je m'en vais retrouver BG et les cousins.

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