Chapitre 10: Nouveau départ

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Je ferme les yeux et prends uneprofonde inspiration. J'ouvre les yeux et je plonge profondémentmon regard dans le splendide paysage qui m'entoure. Je ferme unenouvelle fois les yeux. Les vagues qui agitaient mon esprit se calmepeu à peu. Je rouvre les yeux pour découvrir avec plaisirl'harmonie qui règne entre moi et mon environnement. Loin desvoitures, près de la nature: je ne peux que me sentir calme etapaisée. Si je le pouvais, je resterais ici pour toujours. Sur cepetit bout de plage, situé à quelques mètres seulement de lamaison familiale de BG. Qu'est que je m'y sens bien !

Mais déjà, je dois me retourner,alertée par un bruit de pas derrière moi. C'est BG qui court,puis ralentit une fois arrivé à ma hauteur. Il s'assoit à mescôtés sans rien dire, sans même me jeter un regard. Nous savouronsle silence, seulement brisé par la mélodie de l'océan etprofitons de cet instant de paix. Cet instant parfait, où nousn'avons besoin de rien d'autre pour être comblé, que decontempler ce qui est à notre porté.

BG finit par murmurer: -ton grand-pèrevient d'appeler. C'est vrai que tu rentres bientôt en Europe ?

Cette simple phrase me fit l'effetd'une énorme baffe sur le visage. Pourtant, j'étais déjà aucourant. Ma maman m'avait téléphoné quelques semaines plus tôtpour m'annoncer la nouvelle; toute contente, bien qu'un brind'appréhension se soit glissé dans sa voix. Je l'avaissimplement mise de côté, m'interdisant d'y penser ; dansl'espoir naïf que cela ralentisse le temps et retarde mon départ,malheureusement inévitable.

-Tu sais BG, avant d'arriver ici,j'ai beaucoup pleuré. Déjà parce que j'étais tout le tempstriste et aussi parce que je ne voulais pas venir. Mais petit àpetit, je me suis faîte à la vie dans ce pays et j'ai même finitpar l'apprécier... je veux dire à l'aimer vraiment. Il est vraique je ne parle toujours pas Wolof et que certaines manières defaire me choquent toujours autant qu'à mon premier jour ici. J'aiconscience de mes différences, qui aux yeux de certains, faitdéfinitivement de moi une étrangère sur la terre de mes ancêtres. Mais peut importe ce que les gens pensent, je me sens presque chezmoi ici. En tout cas, je me sens à ma place. Ce sentiment, çafaisait si longtemps que je ne l'avais plus ressenti.... Alors,même si ma famille me manque énormément ; même si j'imaginele bonheur que j'éprouverais en retrouvant enfin ma mère, mesfrères et mes sœurs ; je ne suis pas sûre de vouloir rentrer.J'ai peur de retrouver mon ancienne routine et de redevenir lapersonne que j'étais avant. J'ai peur de ne pas trouver maplace, de recommencer mes conneries...

-C'est impossible, me répondcalmement BG, en effleurant ma main, puis en la glissant délicatementdans la sienne. Tu t'es enrichi de ton séjour ici. Moi-même je merends compte à quel point tu as changé. La personne que tu as étéest morte et enterré. Ne t'inquiète pas Kumba, même si tu lesouhaitais, tu ne pourrais jamais redevenir cette personne.

C'est vrai que j'avais énormémentchangé, évolué, appris et grandis aux cours de ces derniers mois !Et tout cela, sans mettre une seule fois les pieds dans une salle declasse. Finalement, il n'y a rien de plus instructif que le voyage,le vrai, celui qui engendre un dépaysement total ; lesrencontres aussi, la confrontation de nos croyances avec celle desautres, le don de soi, le partage, l'incompréhension parfois...toutes ces expériences qui enrichissent notre âme, ouvrent notreesprit et augmente notre niveau de conscience... l'école de la vieen soi.

-Puis, si je peux te donner un dernierconseil d'ami Kumba : arrête de te tracasser autant de cequ'il adviendra demain. Tu es en vie, alors respire, écrit,chante, danse, pleure parfois, rit souvent, sourit, profitepleinement de l'instant présent...vit ! Garde en tête qu'entrela vie et la mort, il n'y a qu'un pont, un pas, une respiration.

BG faisait référence à la magnifiqueîle de Fadiouth que nous avions visité ensemble quelques jours plustôt. Cette île dont le sol est entièrement recouvert decoquillage, est constitué de deux îlots de terres reliées par unlong pont en bois. L'un des îlots est réservé aux vivants,c'est à dire aux habitant de l'île; tandis que l'autre rendhommage aux morts et a été transformé en cimetière.

-Tant que je suis sur l'île desvivants, je veux bien vivre moi ! je lui réponds, tout enreprenant sa métaphore. Mais les épreuves de la vie; tous les trucsde fou qui se passe dans le monde et mon impuissance face à cebordel planétaire... j'admets que ça m'a mainte fois donnéenvie de courir loin, pour trouver refuge dans un endroit calme etpaisible, comme sur l'île au mort.

-Ou comme sur cette plage.

-Oui ou comme sur cette plage... Maistu comprends que je ne peux pas passer ma vie à rire et à chanter,alors que je suis entourée de tant d'injustice!

-Alors bats toi contre ces injustices.Chante ton désarroi, écrit et milite à travers tes textes. Maisfais le sur une base d'amour, toujours dans l'espoir deconstruire un monde meilleur. Reste optimiste, ou tu te détruirastoi-même, en voulant détruire ce que tu détestes. Et n'oubliepas que peu importe ta bonne volonté, certaines absurdités de cemonde resteront toujours hors de ta portée. Alors personnellement,pour mieux les supporter, je prie et je m'en remets à Dieu.

Je reste silencieuse un moment pourmieux m'imprégner des sages paroles de BG. Je me retournesoudainement vers lui et lui serre un peu plus fort sa main, qui esttoujours glisser dans la mienne.

-Beaucoup de choses du Sénégal vontme manquer. Mais rien ne me manquera autant que toi ! Comment jevais faire sans mon philosophe personnel pour m'aider à décoderla vie ? Sérieusement BG, je ne pourrais jamais oublier tout ceque tu m'as apporté, tout ce que tu m'as appris sur la vie, surle monde et sur moi-même.

-tu ne m'oublieras pas, c'estpromis ?

-Jamais, c'estjuré !

-Tu reviendras ? Même si on setrouve à l'autre bout du monde ?

-Ce n'est pas l'autre bout dumonde, je réponds le sourire aux lèvres. C'est la terre de mesancêtres et elle ne se trouve qu'à quelques heures d'avion dema terre d'adoption. Je reviendrais dès que j'en auraisl'occasion.

-Très bien. Je t'attendrais.

-C'est promis ? tu ne m'oublieraspas non plus ?

-jamais, c'est juré !

-Tu sais quoi BG... je n'ai vraimentpas envie de te quitter.

-Moi non plus Kumba. Mais si tel est lavolonté de Dieu alors je ne peux que l'accepter. Et qui sait ? Onse retrouvera peut-être plus tôt qu'on ne le croit.

-Et puis tu ne pars pas là, tout desuite, maintenant. Il nous reste encore plein de temps à passerensemble, plein de moment à partager et plein de souvenirs à créer.

Je m'agenouille en face de BG afin demieux le serrer fort, très fort, trop fort dans mes bras.

BG a définitivement raison. Aussiimminent que soit mon départ, la Belgique, l'école, tout cela setrouve encore à des milliers de kilomètres de ma réalitéimmédiate. Alors posée sur ce bout de plage, accompagné dumeilleur ami de tous les temps; je suis bel et bien déterminée àprofiter de chaque instant qu'il me reste à vivre dans ce petitcoin de paradis. Demain, c'est tellement loin, hors de ma portée !Mais inchallah, ça ira bien

Made In SenegalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant