De retour à Dakar, les jours défilentsans qu'aucun événement significatif ne viennent perturber notrequotidien. La vie suit son cours dans les rues animées de lacapitale. Les taxis brousses négocient leurs courses. Les carsrapides crient leur destination à plein poumon dans l'espoir deremplir leur véhicule et démarrer le plus vite possible. Lesmarchands ambulants se frayent un chemin dans cette circulation folleet profitent des bouchons pour essayer de refourguer leur marchandiseaux voitures bloquées dans le trafic. Toujours autant de klaxons,de cris, de monde et de pollution dans la chaleur étouffante de lacapitale. Toujours autant de sourire, de longue salutation polie,d'échange et de bonne humeur dans l'ambiance exaltante de monquartier dakarois. Ce bazar général, cette espèce de nonorganisation de l'espace public; laisse une grande place auxsituations les plus improbables et surprenantes. Cela contrastefortement avec l'ordre qui se dégage des rues dans les sociétésoccidentales.
J'apprécie cette atmosphère siparticulière, où la chaleur du soleil, toujours fidèle au poste,se reflètent dans les sourires et les regards des visages quim'entourent. Cela fait maintenant plus de cinq mois que ce paysageconstitue mon nouvel environnement. L'année scolaire se terminedoucement tandis que le soleil se fait de plus en plus présent. Encet fin du mois de juin, les températures montent facilement jusqu'à30 degrés. Grand bien nous fasse, mes cousins sont en périodes devacance et la plage est devenue notre nouveau coin de prédilection.Nous la rejoignons dès que nous en avons la possibilité.
Nos journées commencent rarement avantmidi. Tour à tour, chacun se réveille tranquillement tandis quepetit à petit, la maison s'anime. Seule notre servante, qui sansrelâche, veille à ce que les tâches quotidiennes de la maisonsoient effectuées en temps et en heure, se réveille chaque jourbien avant tout le monde. En effet, Awa se lève à six heures pile.Sans réveil bien sûr ; son horloge interne étant programméepour la réveiller bien avant le crépuscule, et ce depuis desannées. Elle commence par faire la lessive ; qu'elle étendraplus tard dans la journée, lorsque le soleil sera à son apogée.Elle passe ensuite un coup de balai et nettoie proprement chaquepièce de la maison. Lorsque je me lève, je retrouve généralementAwa dans la cuisine en pleine préparation du tchiepdu jour ; avec les aliments qu'elle a savamment sélectionnésun peu plus tôt au marché du coin. Je prépare mon petit déjeuner :un thé noir ou du café et des tartines aux beurres ou à la vachequi rit. Quand mes grands-parents lui donnent de l'argent pourrajouter des œufs à la liste des courses ; Awa nous prépareses délicieux œufs brouillés saupoudrés d'un harmonieuxmélanges d'épices, dont seules, les cuisines africaines semblentavoir le secret. Je l'aime bien Awa, elle est toujours d'uneextrême gentillesse avec moi. Je l'aime si bien que parfois, jelui propose de donner un coup de main dans la cuisine, juste pourpasser du temps avec elle. Puis je m'enfuis discrètement, lorsquej'estime qu'elle prend ma proposition d'aide bien trop ausérieux et me donne un nombre incalculable de tâche à effectuer.Puis, tout comme ma grand-mère, elle a toujours un large sourirescotché aux lèvres. Elle rit beaucoup aussi. Surtout lorsquej'essaie de la remercier ou de discuter avec le peu de wolof quemon cerveau a bien voulu assimiler après tout ce temps passé auSénégal. Elle fait parfois l'effort de me répondre avec lemaigre vocabulaire de français à sa disposition et c'est à montour de me moquer gentiment d'elle. Un de ses sujets préférésconsiste à m'énumérer tout ce que je dois lui rapporter laprochaine fois que je reviendrai. Des robes, des jeans, des jouetspour ses enfants, un lecteur mp3... ça liste ne semble jamaisvouloir s'arrêter. Je lui promets de ne rien oublier une foisdevenue riche, après avoir gagné au loto ou braquer une banque desRothschilds, je lui réponds en riant. Parfois nous nous comprenons,parfois pas, mais dans tous les cas, nos interactions se terminentpar de franches rigolades.
Après s'être régalés d'unsucculent tchiep préparé par les mains expertes d'Awa, mes deuxcousines partagent les tâches de la vaisselle et du rangement de lacuisine ; tandis que je suis assignée au nettoyage de notrechambre commune. Chacun sa besogne terminée, les choses sérieusescommencent et accompagnés de BG, tous mes cousins et moi nousmettons en route pour la plage. Au programme : jeu de ballon surle sable et dans l'eau, concours d'apnées, blagues et rires àgogo. Mon jeu favori consiste à se mettre tous en rang, debout dansl'eau à un endroit où nous avons pied. Fière et prêt à défierla mer, le but du jeu est de rester dans cette position, peu importela force des vagues qui nous attaquent. Mais personne ne tient plusd'une ou deux vagues et nous nous retrouvons chacun jetévulgairement dans des positions improbables, aux quatre coins de lamer. Plus les vagues sont violentes, plus ce jeu est grisant !
Assez étonnamment, mon grand-père nese préoccupe que très peu de nos allées et venues. Je soupçonneque la présence de mon grand cousin au sein de notre petite troupesuffit à le rassurer. Cette liberté de mouvement, nous la dégustonsencore, une fois de retour de notre baignade. Nous installons deschaises devant la maison et Mussa prépare l'artillerie nécessairepour cuisiner et servir l'attaya tout au long de la soirée. Nousle partageons avec BG, des amis de mes cousins et aussi de manièretout à fait aléatoire, au gré des passants et des connaissances.Les discussions vont bon train, les débats passionnées où chacuncampe sur ses positions s'éternisent. Le wolof étantnaturellement la langue de référence pour communiquer, je necomprends pas les trois-quarts de ce qui se dit. Ce qui ne m'empêchepas d'apprécier pleinement ces moments où même le soleil nousoffre un peu de répit.
Devant la mine ravie de ma grand-mèrelorsque nous lui avons annoncé notre intention ; mon grand-pèrea même concédé à nous laisser organiser une fête afin de marquerle début des vacances. Le jour j, ma grand-mère fît le plein desoda et intima qu'on prépare des tonnes de Tchiepboudiène, leplus classique et sans aucun doute le meilleur Tchiep parmi lesnombreuses variétés culinaires que compte la gastronomiesénégalaise. Une cinquantaine de talibé se déplacèrent afin departager le repas, en plus des voisins, des amis et de la famille decœur ou de sang. Tous à l'exception des talibés qui n'enavaient pas les moyens, avaient sortis leur plus beau boubou pourl'occasion. Au moment du repas, les invités se rassemblèrentautour des vingtaines de plat, où la forte odeur du riz encorebrûlant, lançait un appel à se rassasier. BG et moi partagionsnotre bol avec une dizaine de talibés ; qui n'en finissaientpas de se moquer de moi, l'une des rares personnes à utiliser unecuillère et non sa main pour manger. Leurs rires doublaient devolume lorsque j'avais le malheur d'essayer de prononcer unephrase en Wolof. Ces moqueries, qui me blessaient à mon arrivé àDakar, me firent ce jour-là rire de bon cœur ; car j'avaismaintenant conscience qu'elles ne se voulaient pas méchantes. Puisdans le fond, ils avaient raisons ces petits : nous avons beaupartager les mêmes origines et la même couleur de peau ; nous avonsévolués sur deux continents distincts.... Ce qui engendre forcémentdes différences. Depuis notre naissance, notre environnementquotidien est loin d'être similaire. Nous n'avons ni les mêmesréférences, ni tout à fait la même culture, ni même la mêmelangue maternelle ! Mon éducation occidentale influenceinéluctablement ma vision du monde. Cette double influenceculturelle dans ma construction identitaire; je ne l'ai pas choisi,mais je ne veux pas la subir. Après tout, connaître deux cultures,c'est pouvoir se reposer sur deux manières d'appréhender lemonde. Et avoir à ma disposition deux grilles de lecture dans unmonde du plus en plus complexe, cela représente un atout nonnégligeable. Toutes les deux regorgent de richesses et de valeurshumaines ; qui, avec un habile sens de l'adaptation etquelques concessions, peuvent parfaitement devenir complémentaire.Alors, au lieu d'avoir honte de cette double appartenance, autantse servir dans ce magnifique mélange de vertues pour façonner monidentité et sublimer mon unicité.
-Yo de fe toubab dé !me lance un des talibés.
-waaw, touti reckje réponds avec un horrible accent délibérément exagéré et enleur montrant mes paumes de mains.
Nous éclatons de rire, tout en nousgoinfrant des dernières bouchées du tchiep.
Je dois admettre que ce ne fût pas legenre de fête à laquelle je m'attendais. Il n'y eu ni unegoutte d'alcool ni même un petit joint de cannabis qui tourna.Mais les sénégalais me prouvèrent avec succès à quel point ilssavaient s'amuser, même sans substance. Quel plaisir, deredécouvrir l'enivrement naturelle simplement stimulé par leplaisir d'être ensemble et de partager un moment! Demain on verrabien. Mais pour le moment ça se passe plutôt bien.
Littéralement:riz en wolof. Base des plats traditionnels sénégalais que l'on agrémente de de différents mets: viande, poisson, légume... en fonction du plat souhaité.
Toi, tu es blanche quoi! en Wolof
Oui, un tout petit peu en Wolof
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Made In Senegal
Short StoryCela commence comme une histoire banale d'adolescente tourmentée. Kumba rame pour trouver sa place au sein de cette société insensé. Elle se sent incomprise, entouré de gens insensible. Jeune fille à l'âme rebelle, elle nage à contre courant, jusqu...