L'audacieuse Sofia Capriaglini Tome 3 : délit de fuite

11 - Dimanche

Depuis la naissance de Louis, j'ai l'impression que nous passons tous nos dimanches en famille. C'est-à-dire dans la salle à manger de Kévin et Bénédicte. Lors de la délivrance, mon premier soulagement a été de voir que mon fils était en bonne santé et bien constitué, la seconde qu'il avait la peau relativement claire. Les premiers temps, j'hésitais à le promener à l'air libre lors des après midi ensoleillés de septembre. J'avais peur qu'il ne devienne mat de peau et que le doute s'insinue dans les esprits autour de moi. C'est donc avec un certain apaisement que j'ai accueilli l'hiver.

Kévin est assis face à moi à table en cette fin de repas dont les restes gisent encore entre nous. Il a les manches de chemise remontées. Béné l'interpelle depuis la cuisine.

- Kévin, je n'ai plus de batterie, tu peux me filer ton portable pour appeler ma mère ? Il faudrait qu'elle emmène Fiona à la danse mercredi.

- Je l'ai posé sur le buffet, lui indique-t-il.

Elle revient quelques minutes après, l'air déconfit.

- Ca veut dire quoi ce SMS que t'as envoyé à Sofia l'année dernière : attends la naissance, tu verras à la couleur ?

Pourquoi n'a-t-il pas effacé cette tendancieuse correspondance ? Et qu'est-ce qui lui prend aussi à Béné de fouiller le portable un an en arrière ? Elle suspecte quelque chose ou quoi ?

Kévin accueille la question avec un détachement étonnant. Il ne va quand même pas lui avouer !

- Disons, que j'avais quelques doutes sur la paternité du bébé de So.

Oh ! Mon Dieu ! Non ! S'il te plait : tais-toi ! Mais il poursuit calmement, ménageant un suspens qui m'est insoutenable :

- ...pendant notre excursion sur l'île, je la soupçonne de s'être encanaillée avec Emile, le propriétaire du gîte.

Non mais, quel culot !

- T'es con ! Se moque Béné en le bousculant. Au moins, il est parvenu à dissiper ses doutes. Elle retourne dans la cuisine.

Il est un habile avocat et se sert de son talent pour s'extirper des situations délicates. Je le mets en garde d'un regard, contre son imprudence. Il aurait dû effacer le message et tous ceux qui ont suivi. Louis commence à vagir depuis son transat. Je le prends dans mes bras et relève mon pull pour lui donner à manger. Je ne sais pas s'il a faim mais moi, rien que l'entendre demander, j'ai une soudaine montée de lait. Il attrape le mamelon avec avidité, pose ses minuscules mains de part et d'autre et commence à téter en me regardant. Je sens le lait jaillir avec soulagement. Kévin m'observe en silence, le sourire aux lèvres. Il se lève, passe derrière moi, se penche et me glisse à l'oreille :

- Tu es magnifique.

- Merci, je réponds étonnée. Il faut dire que veiller sur Louis, me laisse peu de temps pour m'occuper de moi. Je n'ai pas reperdu mes kilos de grossesse et je zappe souvent la case maquillage.

- Surtout que tes seins, avant, on les cherchait un peu, quand même... ajoute t-il perfide avant de quitter la table.

Il se comporte simultanément comme un amant insatiable et un frère taquin. Richard et lui m'ont annoncé qu'à la date de fin officielle de mon congé maternité, le poste d'assistante juridique m'attendait dans leur cabinet. Mon père est justement penché à la fenêtre et tire sur son éternel cigare. J'aurais très envie de l'imiter.

Bénédicte me rejoint.

- Je ne sais pas ce qui m'a pris tout à l'heure. Un moment j'ai cru que...

Mentir à quelqu'un d'aussi généreux et confiant relève du supplice. Combien de fois ai-je failli lui avouer la vérité ?

Elle poursuit :

- ...que Kévin et toi, vous avez été amant. Je sais c'est ridicule. Rassure-moi : c'est pas vrai, hein ?

Je suis sur le point de flancher. Mon fils est à ce moment d'une aide précieuse : de toute évidence, prêt à tout pour protéger mon secret, il se lâche bruyamment dans sa couche.

- Ah ! Je crois que tu vas être quitte pour le changer. Vas dans la chambre si tu veux. Me propose-t-elle.

Je suis tranquille, jusqu'à la prochaine fois.