Les clients se font rares à cette heure de la journée. Contrairement aux villes de métropole, le respect de la pause méridienne a quelque chose de sacré sur l'île. Malgré la clim, je transpire à ne rien faire. Installée dans un des fauteuils destinés à la clientèle, les pieds sur les magazines de la table basse, se soulage mes impatiences. Seule bonne nouvelle, mon ventre est devenu tellement gros, que je ne sais pas si j'ai besoin de m'épiler ou pas l'entrejambe. Pourtant je ne suis qu'au cinquième mois. Tout juste la moitié de fait.
Kévin s'est enfin décidé à m'envoyer un SMS pour prendre de mes nouvelles. Il n'a pas réagi à celui que je lui avais adressé quand j'ai suspecté ma grossesse. Il a dû penser que le prévenir ainsi, revenait à le désigner comme géniteur. Je m'en veux un peu de le malmener de cette façon. Le connaissant, il a dû cogiter des nuits entières, remettre en question tout son quotidien. Peut-être même avouer notre relation à Bénédicte. De mon côté, je ne sais toujours pas à qui je dois ce jeune homme qui s'excite à force de coups de pieds dans mon ventre dès que j'essaie de me reposer. Mon appréhension à rentrer en métropole est croissante à mesure que se rapproche la date du départ. Ma collègue pense que si je continue de stresser, le petit sera hyper nerveux. J'avais l'habitude de griller un paquet de cigarettes par jour et un pack de bière ne faisait pas longtemps à l'appart. J'ai tout arrêté. Alors, il sera peut-être nerveux mais il ne pourra pas me reprocher le reste. Je réponds à Kévin : Je vais bien (c'est vite dit, mais à distance, ça fait mieux). Ne parle pas de notre relation, STP. SMS que j'efface aussitôt. J'espère qu'il en fera autant. Il m'envoie juste un tu me manques laconique. Je n'en saurai pas plus pour Bénédicte.
Le voyage se présente sans trop d'encombre. Les derniers jours à l'appart ont été rudimentaires. Pour ne rien avoir à ramener, on a progressivement revendu toutes nos affaires. Si bien que la veille, on a dormi à même le sol. Mon ventre est tellement imposant, qu'au moment du contrôle, le personnel au sol m'a demandé mon certificat médical. Je suis pourtant largement dans les délais pour effectuer le vol. C'est mon périmètre abdominal qui dépasse les normes.
Cédric semble insouciant concernant la grossesse. Il est très enthousiaste pour son futur poste et passe son temps au téléphone avec Mattéo. D'ailleurs, ce dernier occupe toutes nos conversations. A l'aéroport, il a même fallu trouver des souvenirs à lui ramener. Mon compagnon serait-il devenu gay ?
Après un charmant périple de douze heures de voyage, attentes aéroportuaires comprises, nous arrivons exténués en métropole. Guetter les valises sur le tapis roulant est un dernier supplice. On a emprunté un caddie pour charger les bagages. Il reste encore de la place dans le panier devant, je me retiens pour ne pas m'y assoir. Mes jambes ne me portent plus. Je pensais profiter de quelques heures de répit en enchainant avec le train, je baille déjà. Et bien non ! Un spectacle bien inattendu me tire de ma léthargie : Béné, Kévin, Richard, Gaétan et même Marine nous attendent avec une pancarte du type porte-drapeau dans une manifestation, sur laquelle est écrit « Bienvenus Sofia et Cédric ! » Ils sifflent, hurlent nos prénoms puis interprètent même une chanson en notre honneur, indifférents aux protestations des autres personnes qui attendent patiemment autour d'eux.
Le trajet en voiture est plus calme. Fait exprès, je me retrouve coincée entre Cédric qui somnole déjà et Kévin. C'est parti pour quatre cents kilomètres de bonheur sous la conduite de mon père. Béné se retourne régulièrement pour m'assommer de questions sur « nos vacances de dix mois sous les tropiques ». Au moins, Kévin ne lui a rien lâché. J'ai peur qu'il ne me mettre la main sur la cuisse et surtout que quelqu'un d'autre que Richard ne s'en rende compte. A sa décharge, s'il venait à me toucher, ce ne serait pas complètement de sa faute. L'habitacle du véhicule de location est étroit et mes cuisses ont doublé de volume depuis notre dernière escapade. J'ignore ce qu'il pense et cela me frustre. Je lui envoie un SMS. Ridicule car nos épaules se touchent. Je ne sais pas si c'est toi ou Cédric. Il soupire. Est-ce de soulagement ou de dépit ? Il me balance sa réponse : attends la naissance, tu verras à la couleur. Son retour brusque me fait comprendre qu'il est contrarié. Il n'a sans doute pas tort. Depuis la cour de récréation, malgré une absence complète d'accent, tout le monde l'appelle « le rital » en raison de son teint très mat. Au camping, Gaétan allait jusqu'à le surnommer « Mozzarella ». Très agréable.
Une pensée me vient : Marine et Gaétan sont donc venus ensemble. Je me renseigne auprès de Bénédicte qui me confirme.
- Oui. Ils ont emménagé ensemble un peu avant Noël.
A ces mots, Cédric qui a toujours eu le sommeil léger se réveille et attend la suite. J'ai eu tort de penser qu'il était devenu gay. Béné n'y prête aucune attention et nous parle de Fiona qu'on passera récupérer chez sa mère.
Kévin se décide enfin à me parler sans clavier :
- C'est un garçon ou une fille que tu vas avoir ?
- Un garçon.
Je ressens une gêne à lui parler après ces mois de silences qui ont suivi notre baiser fougueux. Je tire sur le bas de ma robe qui remonte désespérément sur mes cuisses. Je repose ma main sur le côté, elle frôle la sienne. Pour la première fois de la journée, mon regard croise le sien. Nous sommes passés de dix milles kilomètres entre nous à une simple vingtaine de centimètres. Je pose doucement ma tête sur son épaule. Respirer son eau de toilette m'a profondément manqué.
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L'audacieuse Sofia Capriaglini Tome 3 : délit de fuite
Chick-LitJ'ai pris la fuite au bout du monde, loin de Kévin dans l'espoir de mener une vie sereine auprès de Cédric mais c'est sans compter sur l'obstination de mon ex-demi-frère et de Richard pour me ramener près d'eux. Un périple tropical nous attend. Le p...