3 | ASPHYXIE

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MÊME SI JE NE RESPIRE PAS, je me sens plus vivante que jamais. Chacun de mes mouvements sont inutiles, je pourrais presque me laisser me noyer. Ses yeux me fixent, sa peau est si pâle et si claire qu'il est impossible de ne pas la regarder. Nous sommes seules, elle a une queue de poisson. C'est impossible. Comment ça peut l'être ? Impossible pas vrai ? Non, non ! Je n'y crois pas.

J'essaie de rester calme. Inspire, expire. Impossible de ne pas m'attarder sur la couleur de ses écailles. Rouges, noires, blanches, comme ceux des poissons qui envahissent la mer depuis longtemps et que l'on pêche sans arrêt. Le blanc est si clair qu'il reflète toute la lumière existante ici, au fond de l'eau. Il me préserve des horribles choses que je pourrais voir et des secrets enfouis ici bas. Il m'aveugle, elle me regarde, je suis sûre qu'elle pourrait de me tuer sans difficulté.

Je peine à remonter à la surface, j'ai pied bien évidemment, mais la moisissure et les algues au fond rendent les marches aussi glissantes qu'un parquet ciré. Mes doigts fripés s'accrochent au bord, je prend sur moi pour remonter. Je suis trempée, lourde et la seule chose qui sort de ma bouche sont des insultes, des essoufflements peut-être même quelques cris ou quelques sanglots...

Mon estomac se retourne plusieurs fois et je me retiens de ne pas vomir.

Je tousse, m'étouffe et lorsque le silence retombe légèrement je me rend compte de quelque-chose. Je dois être ridicule, les bras mous, le corps abandonné sur le sol, je prend le temps de respirer, de souffler et de revenir sur terre.

— C'est pas possible... c'est pas possible, non ! C'est pas possible...

Je panique lorsque je sens à nouveau quelque chose toucher ma jambe. Je crie :

— Me touche pas toi !

Elle s'éloigne puis ramène ses cheveux en dehors de son visage, j'arrive à la voir clairement, même dans l'obscurité et les yeux barbouillés d'eau.

Rien à proprement signaler de dangereux, enfin... Son visage n'est pas bien différent du mien, ni d'un autre être humain d'ailleurs : pas de dents pointues qui dépassent de sa lèvre supérieure, pas non plus d'oreilles dentelées et pointues. Ses yeux sont très sombres, sa mâchoire presque rebondie ! Je pourrais même remarquer des grains de beauté à certains endroits, mais je ne suis pas sûre...

Quand m'avance légèrement pour bien voir clairement ses traits, je distingue bien plus que cela : Une bouche pleine, des cils sur des grands yeux fatigués – pas de cernes, un regard si étrange – tout ce qui a de plus normal et d'agréable à voir selon. moi. Elle est même – si on peut dire – beaucoup plus gâtée par la nature que moi. Du genre à dépasser les cheveux brillants et la peau claire de Mei, sans aucun effort ni artifices.

Un frisson me parcourt l'échine lorsque que j'aperçois trois fentes sur les cotés de son cou. Des branchies, qui se soulèvent toutes les dix secondes lorsqu'elle reprend son souffle. Contrairement à lorsque l'on pêche, je n'ai pas l'impression qu'elle combat l'oxygène hors de l'eau, comme les poissons dans nos filets. Sa respiration est calme, un peu affolée mais contrairement à la mienne, tout vas parfaitement bien.

Je fixe, je fixe tellement que ma respiration vient se coller à la sienne, mon corps entier frissonne. Dix secondes, elle me regarde aussi.

Son regard, contrairement aux poissons de nos aquariums, appartient réellement à quelqu'un. Il veut dire quelque-chose et j'ignore quoi. Ses yeux mènent quelque-part, peut-être sur mon visage. Elle cependant, reste toujours muette.

Je me demande à nouveau si je dois me relever, un peu plus calme, j'en viens même à me demander si je ne dois pas me rapprocher pour la voir d'encore plus près. Et la curiosité m'emporte : est-ce qu'elle parle ? Chante ? Est-ce qu'elle se nourrit d'êtres humains comme je me nourris de poissons ? Est-ce qu'elle va me tuer ? Non, elle l'aurait déjà fait bien avant. Est-ce que je rêve ? Non, je ne rêve pas, elle est devant moi comme une feuille d'examen : inconnue, vide de tout sens et je reste sur le sol trempée comme sur ma chaise de cours, hébétée, à la recherche d'un signe qui pourrait me donner une réponse.

ALGUEMOUREUSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant