6 | PIÉGÉE

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TOUJOURS PRATIQUE DE SE SOUVENIR DE VIEUX BOUQUINS, Grand-père serait sûrement fier de moi pour avoir trouvé le moyen de l'emmener voir la mer. Ma mère beaucoup moins. Elle serait furieuse.

Mes bras tremblent, à force d'avoir fait descendre le cadis rouillé que j'ai trouvé en fouillant. On a failli s'écrouler à plusieurs reprises et finir le chemin en roulant dans la boue, mais ça vaut le coup. Elle a l'air heureuse, vraiment heureuse.

— C'est si joli que ça ? Je demande.

— Évidemment ! Répond t-elle.

La baie est belle en été, les couleurs transpercent nos iris et l'odeur nous prend à la gorge. À cette heure, on ne peut regarder le paysage que de notre fenêtre. Ça doit être pour ça que Mei ne s'approche pas d'ici, l'odeur ne doit jamais venir gâcher le spectacle. Les yeux de Kana sont scotchés, aimantés devant le couché de soleil qui laisse apparaître une jolie expression. Vu comme ça, on dirait vraiment que c'est la première fois qu'elle voit la mer, ce qui est étrange, pour une fille-poisson. En tout cas, ça me donne envie de l'amener plus souvent, chaque soirs peut être. Si ça l'aide à se souvenir de quelque-chose, ou même si ça lui fait juste plaisir.

Les yeux de Kana pétillent de larmes, je ne sais même pas si elle s'en rend compte. Mes yeux jettent un regard sur ce qu'elle fait, puis tellement de regards jusqu'à ce que qu'ils ne sachent plus quoi regarder. Quoi regarder ? Les trois couleurs du ciel ou les milles reflets de ses écailles ? Le paysage de reflète dans sa peau, qui normalement paraît si pâle sou l'eau que j'en ai le souffle coupé.

Devant la mer, Kana apparaît devant moi plus éclatante que n'importe qui.

Elle ne comprendrait pas ce genre de choses...

Parce que je suis terne, et elle est le soleil.

— Tu pense à quoi ? Je demande, Kana s'est retournée vers moi. Son sourire n'a pas quitté ses lèvres depuis le début.

— Rien ? Aucun souvenir ? Je redemande, Kana hausse les épaules.

Son visage refait face au paysage. Ici, on oublie facilement ce qu'il y a autour de nous, peu importe si le monde s'effondre. C'est comme si un univers parallèle s'ouvrait autour de nous, petit mais immense, agréable et dangereux. Tout donnerait envie de se jeter dedans. C'est pour ça qu'il est facile de mourir près d'ici, on a très rapidement envie de sauter. Juste pour essayer.

Coincée dans son caddie elle doit tout voir en plus grand, en plus vaste. L'envie de s'enfuir doit être encore plus forte, aussi, mais ce n'est pas comme si elle était la seule à le penser. La différence, c'est qu'elle pourrait s'enfuir à la nage, alors que je suis coincée ici.

Je la regarde, elle a l'air d'apprécier le moment.

— C'est calme, M'avoue-t-elle. C'est facile de s'oublier ici.

Sa voix se pause, elle doit penser à quelque-chose. Kana me demande :

— Et toi ? Tu as quelque chose en tête ?

Je m'approche d'elle et lui prend la main. Pendant un instant, elle est si surprise qu'elle fait bouger le caddie, jusqu'à presque en tomber. Mes bras rattrapent les siens. Je ne me réveille complètement qu'au son de sa voix, sans pour autant lâcher sa main, puis ses doigts. Ma bouche est scellée, pâteuse. Elle me regarde et je me sens dissoudre dans ses mains, dans un million de bulles.

Est-ce qu'elle a pleinement conscience d'elle même ? Est-ce qu'elle a conscience de l'état dans lequel je suis quand je la regarde ?

J'aimerais être à des mètres sous l'eau salée pour ne plus pouvoir entendre sa voix. Je ne sais même pas pourquoi. Est-ce qu'elle sait ce que je ressens le plus maintenant ?

ALGUEMOUREUSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant