11 | ARTIFICE

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ON M'A FORCÉ À PORTER UN YUKATA, mais le pire, ce sont les getas. Je ne vois pas le but de porter des sandales pareilles si ce n'est la tradition. Avec ça, j'ai peur de tomber et je suis sûre que mes pieds vont souffrir pendant trois jours. Ma mère me surveille depuis qu'elle a serré minutieusement le nœud qui entoure ma taille, papa a serré le sien. Il ne porte pas de Yukata, mais s'est habillé en condition, il a même rasé sa légère barbe.

— Les chars sont déjà en route, Annonce papa. Yuri, tu peux aller te balader si tu veux.

— Takumi ! Elle doit nous suivre ! Insiste ma mère.

Aujourd'hui ses cheveux sont attachés de manière plus soignée. J'imagine aussi qu'elle s'est maquillée. Moi aussi j'ai eu le droit à tout ça. Elle a remonté mes cheveux dans un chignon si petit qu'on ne le voit à peine. Le reste qui fut impossible à attacher flotte contre ma nuque comme des poils de balais. Génial.

Mon père n'est pas d'accord. Pour une fois il lui fait face :

— Elle a seize ans maintenant, bientôt dix-sept. Rajoute-t-il avec plus de fermeté.

Les jeunes de son âge restent ensemble. Elle va pouvoir retrouver le petit Sasaki et ses amis, je pense qu'on peut la laisser respirer non ? Elle a bien travaillé.

Ma mère peste contre mon père, elle nous laisse en suivant la foule, traînant des pieds. Mon père, après une tape sur l'épaule la rejoint à son tour, je finis toute seule dans cette rue, en face de quelques stands. Le vent fait flotter les lanternes décorés de fausses écailles; rouge, jaunes, oranges toutes illuminé par une petite flamme.

L'heure de la fête a sonné, les villageois profitent joyeusement de la seule journée dans couvre feu, mais moi, je ne suis pas d'humeur festive.

C'est marrant que Papa ai encore parlé de Sasaki, parce que sans lui je n'ai même plus d'ami. Sasaki n'est pas là, il ne viendra certainement pas et ne voudra plus jamais me reparler. Il y a également peu de chances que j'arrive à retrouver Kana sans personne ne me voit me faufiler sous la rambarde.

J'espère qu'elle n'aura pas trop peur cette nuit, à cause des feux d'artifice.

Je m'éclipse peu loin des stands, dans le jardin d'enfant. C'est bien un des seuls endroits qui ne bénéficie pas de son lot de décorations en tout genre. Le carré est sombre, un peu plus silencieux que tout Ine en ce moment et les balançoires, bien qu'un peu petites sont parfaites pour rêvasser. J'aimais bien venir ici petite mais pas pour jouer, ici, je pouvais me cacher des touristes et des chats sauvages. Maintenant, ce n'est plus comme s'il y avait beaucoup de chats dans ce village, pareil pour les touristes, ils ont tous disparus et c'est certainement pour ça que plus personne ne prend la mer.

J'aimerais déconnecter mon cerveau ici, mais j'ai peur de m'endormir. Passer trois jours seule – ou plus – sur cette balançoire serait quand même bien moins triste et ennuyant dans ces conditions. Être entourée de gens comme aujourd'hui m'a donné l'impression d'être encore plus seule et isolée. Je ne sais pas depuis combien de temps je ressens ça envers tout Ine mais je viens de m'en rendre compte. Ici, je ne respire pas.

Mes paupières se ferment j'essaie tant bien que mal de me détacher des alentours. La balançoire grince je m'élance. Mes pieds me font m'élever dans les airs, ma frange virevolte mais rien à faire : le son du gravier m'empêche de penser à autre chose.

Je sens que quelqu'un s'assoit près de moi, dans un grincement de balançoire, je sais parfaitement qui m'a trouvé.

— T'es toute seule ? Me demande t-il.

— La faute à qui tu crois ?

Sasaki ne ricane pas. Par ma voix rauque, il sent que ma colère vient de remonter en flèche. Maintenant que je le vois en vrai, je me sens idiote de regretter quelqu'un qui fait passer sa petite-amie avant sa meilleure-amie. Enfin... Même si je l'ai cherché.

ALGUEMOUREUSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant