1 | SOUVENIRS

419 39 10
                                    


ON N'ARRÊTE PAS UN PROFESSEUR QUI PARLE DE LA MER. Encore moins lorsqu'il parle d'Ine, le pauvre, même moi je suis déçue. Ici, ils sont tellement intéressés par leurs propres paroles qu'ils ne pensent pas à nous, pauvres élèves. Ils recrachent le cours, étalent leurs connaissance sans même se soucier du programme. Si ennuyant ! Les professeurs comme monsieur Terada ont beau être tout droit sorti d'universités de grandes villes, ils empestent toujours la poussière dès qu'ils nous parlent. C'est comme si tout les voyages qu'ils avaient fait ne servaient qu'à ça. Quel gâchis... Comme si on n'avait pas de radio.

C'est encore pire à cette période de l'année. En août, à peine les fesses posées sur la chaise que la totalité des informations du journal se retrouve mêlé au programme. Une sorte de chapitre supplémentaire que tout les primaires, collégiens et lycéens doivent se coltiner chaque années. Il paraît que c'est ce qui arrive quand une catastrophe écologique frappe le monde entier.

Quand la sonnerie retentis, tout le monde salue le professeur. C'est là que les choses se corsent : Tout devient bruyant. Les chaises et les gens se bousculent, certains sortent les ballais, d'autres commencent à nettoyer leurs bureaux... Aujourd'hui, je dois m'occuper des vitres, mais on m'attrape l'épaule.

Normalement Mei – la petite amie de Sasaki – s'en va avec lui à la seconde où les portes du lycée sont ouvertes. Résultat ? Je me coltine toujours leurs corvées de ménage. Des fenêtres et des bureaux à nettoyer, quand ce n'est pas les toilettes ! Je regretterais presque les tâches annuelles que ma mère me force à faire.

Je suis sûre qu'ils vont encore me demander de tout faire pour eux. Sinon ils ne m'auraient pas appelés. Il est toujours assis sur sa chaise. Sasaki a sorti sa casquette de baseball, (je ne vois même pas pourquoi il l'a encore, il n'en fait plus depuis qu'il sort avec elle...) il me demande de me rasseoir.

Les deux ont l'air concentrés sur une petite pile de papiers découpés et d'un dé mal collé sur les cotés. D'une voix peu enjouée, un œil toujours collé à son téléphone, Sasaki annonce :

— Mei a eu une idée cool, tu veux jouer avec nous ?

Oh. Ses lèvres couvertes de gloss s'étirent, flattée. Elle s'assoit directement sur la table ce qui m'empêche de voir. Les papiers sont mal pliés mais je n'arrive pas bien à distinguer lequel elle va m'obliger à tirer. Certainement une autre bêtise à faire pour l'amuser. J'aurais du m'en douter...

Mei me regarde du coin de l'œil, elle sait exactement ce qu'elle fait. Elle m'insupporte et je suis sûre qu'elle serait heureuse de savoir à quel point je serre les dents pour ne pas le montrer en pleine salle de classe, les gens se bousculent derrière nos chaises pour atteindre l'énième bout de parquet, la classe empeste de détergent mais Mei est déterminée à effectuer son petit numéro devant tout le monde.

Quand Sasaki finit de préparer sa pioche, les ongles longs et vernis de Mei viennent plonger dans la casquette maintenant remplie des papiers. Elle sort un morceau de cahier déchiré imbibé d'encre qu'elle tend jusqu'au plafond avec fierté :

— Gage numéro un : raconter une histoire ! Vous... vous souvenez de la rumeur du centre commercial abandonné ?

Elle ne tient plus sur sa chaise et sa voix s'est éclaircie. Maintenant debout, elle bouscule tout le monde pour se poser derrière moi, sur ma table. Ses longs cheveux noirs viennent m'envahir, son parfum m'empêche de respirer, elle empiète complètement sur mon espace personnel.

— Tout le monde connaît celle des cadavres d'orphelins... Avoue mon « meilleur ami » mal à l'aise.

— Et celle des deux amants noyés. Je rajoute. Ah et celle du montre aussi. Tu les as déjà toutes racontés.

ALGUEMOUREUSEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant